
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, près de vingt millions d’Ukrainiens ont été contraints de tout quitter pour se réfugier en zone sûre, en Pologne ou dans les régions sécurisées de l’Ouest. Maciek Amela, producteur et réalisateur polonais, a sillonné le pays pour rapatrier à la frontière de son pays les Ukrainiens qui le sollicitaient, parcourant plus de 100 000 km. Son minivan de sept places est devenu un lieu de confidences, un lieu sûr, transitoire, témoin d’un exil forcé. Accompagné d’une caméra, le réalisateur a enregistré les conversations échangées avec ses passagers. Dans l’habitacle, on parle de la guerre, de ses drames, de l’exode, mais aussi des perspectives pour l’avenir : s’installer provisoirement en Pologne, revenir en Ukraine quand tout sera fini, ouvrir un café ou se baigner dans la mer.
Même si la violence de la guerre demeure en hors champ de ce film tourné presque à huis-clos, elle semble omniprésente. Elle trouve une incarnation dans les chars russes abandonnés sur les routes, dans le bruit des bombardements ou dans les ruines d’un ville dévastée. La crainte jaillit parfois brutalement (chez les spectateurs comme chez les passagers) lorsque le van doit rebrousser chemin pour éviter les mines qui piègent la route ou changer d’itinéraire alors que l’armée russe a progressé dans leur direction. Mais surtout, cette violence s’illustre dans les récits des passagers, marqués par la mort et l’abandon des proches.
Sur les vieux sièges du van se superposent les vies d’Ukrainiens meurtris. Par l’intermédiaire d’un cadre fixe et frontal que le film systématise (promiscuité de l’habitacle oblige), Maciek Amela parvient à faire exister de vraies rencontres avec les différents passagers. Nous nous attachons immédiatement à chacun d’entre eux, et la brutalité avec laquelle le montage nous contraint à les quitter pour en rencontrer de nouveaux donne un aperçu du déchirement que le cinéaste a pu ressentir après avoir partagé des moments aussi intenses.
C’est avec une grande délicatesse que ce road movie fait résonner entre elles les scènes de retrouvailles et de séparation. Ici, une grand-mère qui reste en Ukraine fait ses adieux à son fils et à sa petite-fille. Là-bas, une femme retrouve son mari après une douloureuse séparation, tandis qu’ailleurs, un homme quitte sa femme et ses enfants pour rejoindre les forces armées.
Parmi les nombreux visages que l’on rencontrera sur la route, on retiendra notamment celui de Sanya, une petite fille accompagnée de son père, devenue mutique depuis qu’un missile russe a manqué de faire exploser l’appartement de sa famille. On se rappellera également d’Ewelina, jeune mère porteuse qui rêve d’ouvrir un café « à l’européenne » lorsqu’elle retrouvera son pays. Juste et poignant, In the rearview porte à l’écran la détresse et l’espoir du peuple ukrainien en esquissant le portrait de ses exilés.
In the rearview / De Maciek Amela / Pologne, France / 1h25 / Festival de Cannes 2023 – Acid