
C’est entre des champs remplis de fleurs, le lycée et une chambre que se déroule l’histoire d’une amitié sans bornes, comme on peut en connaître au sortir de l’enfance, à la lisière du monde adulte. Rémi et Léo ont treize ans, l’âge des possibles, des jeux empreints de réalité : ils se dissimulent dans une cachette, croient entendre des voix, puis enfourchent leur vélo et filent sur la route, le souffle court, emportés par le vent.
C’est toute la dynamique de l’adolescence qui pointe, que capture la caméra au sein de travellings latéraux disant l’appétit vorace de vivre, innocents. Le soir, entre les draps blancs, les deux amis, comme frères, se retrouvent, dormant l’un à côté de l’autre. Flirtant entre amour, affection, attachement. Où se trouve la différence, la ligne de démarcation quand les corps se touchent, les paroles se boivent, les émotions se lisent au creux des yeux ? « Léo, t’as tes règles ou quoi ? » demande une élève ; et « vous sortez ensemble ? ». La réponse est nette, courte, concise : non. Dès ce moment-là, les gestes sont plus timides, les regards échangés moins fréquents. Une barrière invisible se dresse entre les garçons : celle de la gêne, de la réputation. Dans le lit, Léo se décale, finit par dormir par terre, mettant ainsi une distance entre leur membres auparavant fusionnels. Rémi ne comprend pas. D’où vient cette subite distance, ces mots que l’on ne dit plus ? Le jeu se transforme : alors qu’ils se battent pour rire, les coups deviennent de plus en plus rapides, l’haleine sèche, les battements du cœur effrénés, les mains comme des crochets, prêtes à ligoter. Entre amour et haine, il n’y a qu’un pas, et la bagarre se meut en véritable rixe.
Plus tard, dans la cour de récréation, en larmes, les joues rouges, Rémi va reproduire ce schéma, assaillir son ami de secousses, le traîner par terre, jusqu’à ce que des surveillants viennent mettre le holà. Ils se dévisagent en chien de faïence : un lien est brisé. Quand Rémi disparaît subitement, demeure la maison vide de sa présence, ses parents seuls, désemparés ; une chambre hantée, et une vie qu’il faut apprendre à reconstruire. Sans l’autre, sans moitié. C’est toute l’émotion refoulée, en hors-champ, que saisit le réalisateur, dans des gros plans sur le visage de l’enfant, vide de larmes. Les copains changent : ce n’est plus le dos de Rémi que Léo observe dans la nuit, mais celui d’un autre. Une image en appelle une autre, la teinte d’une chair fait advenir le souvenir.
La caméra change de place : auparavant accompagnante, elle devient prison, manque, traduit l’absence : les travellings arrière enserrent Léo, sur son vélo, et le mouvement vient dire quelque chose de l’ordre de la vie : il faut continuer, avancer. Comme au cours de hockey, lorsque l’adolescent tombe par terre, et que son professeur hurle : relève-toi, continue ! La disparition heurte le fil de l’existence mais malgré la douleur, les jeux dans la cour de récréation reprennent peu à peu. Les boules de neiges cognent les manteaux, les rires fusent, la glace fait mal aux genoux, mais Léo prend sur lui et dans un dernier plan, suite à une course déchaînée, il se retourne : derrière lui, peut-être, Rémi le suit, de son ombre fantomatique. Naissance d’un spectre. Réminiscence.
Close / de Lukas Dhont / Avec Eden Dambrine, Gustav de Waele, Emilie Dequenne, Léa Drucker / Belgique / 1h45 / Sortie le 1er novembre 2022