
Par une séquence a priori banale, le nouveau-né de Damien Chazelle déploie sa note d’intention. Tel un “jumeau maléfique” de Chantons sous la pluie ayant troqué sa joyeuseté pour un portrait doux-amer, Babylon sera une œuvre folle, révélant les coulisses débauchées du vieil Hollywood.
Budget onéreux (80 millions), durée homérique (3h08), récit choral, reconstitution ambitieuse des années 20 : le projet auquel s’emploie Chazelle sort tout droit d’une autre époque. Loin de la précision chirurgicale de Whiplash, du souffle romantique de La La Land et des émotions contenues de First Man, Babylon avance, dès sa furieuse introduction d’une demi-heure, avec les moyens d’un tank et autant de subtilité. Pour embrasser les excès libidinaux et toxicomanes de cet univers démesuré, Damien Chazelle éructe, avec une grossièreté assumée, la puissance cinétique de son cinéma. Aux travellings incessants et aux superbes plans longs se succède un montage parfaitement ciselé qui confirme la maîtrise formelle de l’auteur. Cette recherche constante de pulsation construit peu à peu le film comme un dialogue avec lui-même. Chaque nouvelle séquence s’emploie à modifier le rythme imposé, à naviguer entre les registres – slapstick, musical, gangster movie, horreur – et in fine à surpasser la précédente.
Cette hystérie d’apparat ne trompe malheureusement pas, même lorsque le long-métrage prend une tournure mélancolique dans sa seconde moitié. Chazelle, comme David Fincher récemment, ne fait ici que rabâcher des discours maintes fois entendus et s’y complaît lentement, oubliant d’apporter plus qu’une simple vulgarité superficielle et coquette pour justifier cette paresseuse logique de réemploi. Perdu par la propre ambition de ce récit, le cinéaste en vient à oublier certains de ses protagonistes – pourtant touchants par moments – et son sujet principal : l’objet “cinéma”, relégué au second plan puis grossièrement rappelé dans un épilogue fourre-tout. S’il a l’orfèvrerie d’une grande œuvre moderne, Babylon enfonce malheureusement le clou de ce “nouveau classicisme”, plus occupé à régurgiter une cinéphilie passée qu’à en bâtir une nouvelle.
Babylon / De Damien Chazelle / Avec Diego Calva, Margot Robbie, Brad Pitt, Jean Smart / USA / 3h08 / Sortie le 18 janvier 2023.
Super article 👍
J’aimeAimé par 1 personne
Bravo pour cet article qui synthétise avec précision et acuité mon ressenti devant cette tentative boursoufflée de rendre compte d’une époque. Une déclaration d’amour étouffante et bien trop maladroite au cinéma qui agace plus qu’elle n’émeut.
J’aimeJ’aime