
Dans The Sweet East, Sean Price Williams nous promène dans une Amérique découpée en différentes idéologies : de punks à islamistes, en passant par néo-nazis et avant-gardistes. Lillian, jeune adolescente désœuvrée, est notre guide à travers ces groupuscules qu’elle intègre, toujours avec un détachement adolescent aussi touchant que frustrant.
Comme la caméra, la jeune femme se fait trimbaler d’un paysage à un autre, d’un homme à un autre, d’une croyance à une autre. Dans une ère où tout le monde doit avoir un avis et a l’obligation de l’énoncer, elle s’imprègne de ces nouveaux concepts qui, à défaut de la convaincre, lui font oublier son ennui quotidien. Vus au travers de ses yeux et comme divertissement, les systèmes de pensée extrémiste révèlent encore plus de leur absurdité. Mais loin d’être une fresque naturaliste et sociale sur les États-Unis, The Sweet East est un objet formel hybride, à l’originalité décapante. Les logorrhées des personnages n’y ont d’égal que le rythme implacable du montage. Le flux continu d’images et de mots est évocateur de l’effet « boule de neige » qui règne sur la narration.
Mais ce film à sketchs acerbe, à l’enchainement interminable n’est finalement pas tant le récit de fractions, de scissions politico-sociales qu’une œuvre sur l’élan. L’élan de son personnage mais aussi celui de son metteur en scène. Un élan frénétique et fantastique qui nous donne l’impression – malgré la minutie de son réalisateur – que The Sweet East a une volonté qui lui est propre, qu’il se déploie de lui-même, dépassant les bornes de la fabrication humaine et celles des attentes spectatoriales. Et c’est sans doute pourquoi il est si difficile d’achever cette féerie contemporaine. Ainsi, son début est une fin autant que sa fin un début, sans pour autant qu’il évoque une construction cyclique ; le tracé d’un zigzag lui conviendrait mieux…
The Sweet East est un coming of age movie comme on en voit peu, à l’impétuosité exaltante. De son chaos structurel ressort une beauté hypnotique, discrète dans son excentricité, à l’image de son actrice principale. Et avec un humour constant, Sean Price Williams nous conte l’absence de dialogues, un monologue à la fois.
The Sweet East / De Sean Price Williams / Avec Talia Ryder, Simon Rex, Ayo Edebiri et Jacob Elordi / 1h24 / État-Unis / Festival de Cannes 2023 – La Quinzaine des cinéastes.