Rencontre avec : Mads Mikkelsen

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Mads Mikkelsen au festival de Cannes 2018 ©Pascal Le Segretain/Getty Images Europe

« Tous les ans, dès qu’il y a de la neige dans les grandes villes, c’est la panique!». Lors de son passage à Paris pour faire la promotion de son nouveau film, Arctic de Joe Penna, Mads Mikkelsen s’est coordonné avec la météo. Dans ce film de survie présenté en séance de minuit au dernier Festival de Cannes, en salle dès aujourd’hui, il interprète un homme qui se bat contre les éléments au beau milieu du Pôle Nord. Nous l’avons rencontré, au chaud, pour parler de ce long-métrage, mais aussi de Netflix, de scénario, de Nicolas Winding Refn ou encore de son futur projet avec Thomas Vinterberg…

Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans Arctic, sachant ce qui vous attendrait sur le tournage ?

J’ai trouvé l’histoire très belle, pure et déchirante. Elle interroge la capacité que l’on a à conserver notre humanité dans une telle épreuve. J’ai beaucoup aimé l’écriture radicale de mon personnage, car on ne sait rien de son passé, il n’y a aucun flashback et il n’est pas non plus question d’histoire d’amour. Nous ne sommes pas tombés dans ces écueils. J’ai donc accepté, et quand j’ai posé le pied en Islande pour le tournage, je me suis dit « d’accord, je vais vivre un vrai survival!».

Dans Arctic, votre personnage vit une expérience solitaire, il ne parle presque pas. Est-ce quelque chose avec laquelle vous êtes à l’aise ? Aviez-vous un modèle particulier en tête ?

Oui, je suis à l’aise avec les scènes non verbales. Si une scène dans laquelle mon personnage est seul en train de pêcher avait été précédée par un éventuel dialogue avec sa femme ou sa mère, je ne l’aurai pas jouée de manière si différente. Cela fait partie de notre métier d’acteur. Je suis un grand fan des films muets, en particulier ceux de Buster Keaton, et je suis convaincu que l’on peut dire beaucoup de choses grâce aux seules images. Il n’y a pas toujours besoin des mots. Je ne pensais pas à un modèle spécifique, mais j’avais à l’esprit l’histoire du film et la direction que nous voulions lui donner. Je savais qu’il y aurait peut-être un deuxième personnage dans le film, qui agirait comme un miracle dans son monde. Soudain, il a une nouvelle raison de poursuivre sa mission de survie et de ne pas abandonner. C’est un être humain, l’épreuve paraît insurmontable jusqu’à ce que quelqu’un vienne l’épauler.

Est-ce que votre passé de danseur influence votre jeu d’acteur, en particulier sur ce film ?

Je ne suis pas certain que ma formation de gymnaste m’aide pour interpréter un rôle, mais la danse enseigne surtout une très grande discipline. Ce n’est pas pour dire du mal des acteurs, mais un danseur ne se permettra jamais d’arriver sur le plateau avec quinze minutes de retard, en buvant un verre de café. Les danseurs sont toujours opérationnels et prêts à avancer. Cette ténacité m’a peut-être aidé à endurer chaque journée de tournage, de plus en plus difficile à cause de froid extrême.

Avez-vous du mal à quitter vos personnages après un tournage ?

Non, je n’éprouve pas de difficulté particulière à sortir de mes rôles. Certains acteurs exigent de leurs enfants qu’ils les appellent par le nom de leur personnage, ils se mettent dans sa peau pendant trois mois… Je trouve que c’est prétentieux. Comme tout le monde, je peux avoir des journées difficiles, vivre des problèmes émotionnels qui me préoccupent quand je rentre chez moi. Mais je préfère laisser mon personnage de côté afin d’être moi-même, et pouvoir parler au réalisateur en adulte, pour prendre du recul sur notre travail. C’est comme cela que je vois les choses. Pour Arctic, j’ai surtout souffert du tournage, qui a été le plus compliqué de ma vie, mais ça n’a pas changé ma manière d’appréhender le personnage que j’incarne.

Dans votre carrière, vous alternez entre des blockbusters aux Etats-Unis et des films plus indépendants en Europe. Est-ce que ces deux styles de cinéma vous apportent la même satisfaction dans votre désir de cinéma ?

Chaque film apporte une satisfaction différente. On part d’un point pour arriver à un autre, avec un but en tête. Si on fait un film Marvel, on a l’idée de donner vie à un comic book sur grand écran. C’est une satisfaction fantastique lorsque cela se produit. Dans Arctic, nous avons voulu faire un film sur l’humanité, que l’on espère être aussi émouvant. Si on sait où on va et que l’on y parvient, la réussite du projet apporte une grand joie à chaque fois, quel qu’il soit. C’est amusant parce que lorsque je fais des interviews en Europe, on me demande souvent ce que j’aime dans le cinéma européen, ce qui ne m’est jamais demandé aux Etats-Unis à propos du cinéma américain ! Si ce n’est la différence de budget parfois, tout le monde a le même objectif, c’est-à-dire faire des films. Il n’y a pas tant de différence.

Est-ce qu’il y a un type de rôle que vous n’avez jamais joué, et que vous aimeriez qu’on vous propose ?

Je n’ai pas vraiment mon Hamlet… Les rôles qui se présentent à moi et qui m’attirent deviennent ceux que je rêvais d’interpréter. Ce n’est pas un tremplin pour jouer un autre rôle, c’est ce dont j’ai envie sur le moment. Ceci dit il y a des genres que j’aime beaucoup et que je n’ai pas encore exploré, comme l’horreur. Donc un jour, peut-être… J’aimerais bien jouer un zombie !

Vous jouez dans le film Polar, sorti la semaine dernière sur Netflix. Quel regard portez-vous sur le changement de mode de diffusion des films ?

Je n’ai pas vraiment de cheval de bataille dans ce débat. Vous savez, dans les années 1990, les gens qui voulaient faire du cinéma s’emparaient de leurs caméras et montaient eux-mêmes des projets très intéressants. Ces gens-là ont apporté beaucoup de créativité. Ils le font toujours, mais Netflix permet de changer d’échelle et de toucher un public plus large. Oui, c’est formidable de voir un film sur grand écran, avec plein de gens dans la salle, mais la vidéo à la demande permet aussi d’atteindre des personnes qui vont très peu au cinéma, c’est une bonne chose. Il y a une controverse quant à la place de ces films dans certains festivals, on s’interroge sur leur statut même d’œuvre de cinéma. Je ne vois pas un combat, il faut plutôt construire un pont et trouver une entente car au bout du compte, le résultat désiré est le même : une histoire racontée avec des images. Le cinéma ne mourra jamais, il continuera toujours.

Vous avez été membre du jury du Festival de Cannes en 2016… quel spectateur êtes-vous ?

Je suis un spectateur qui cherche à monter à bord du train dans lequel on lui propose de voyager. S’il m’emmène quelque part, je pars avec lui et je prends du plaisir. Mais si ce n’est pas le cas et que je n’accroche pas, je ne me concentre que sur ses défauts, comme peuvent le faire les critiques de cinéma. Cela peut être déchirant pour un film de savoir que le public n’a pas été embarqué, et n’a fait attention qu’à des erreurs ridicules, alors que ce n’est pas là où se joue l’essentiel du film. J’essaye de me mettre dans la position de n’importe quel spectateur, et non pas dans celle de quelqu’un qui fait partie de l’industrie.

Est-ce dans cette même dynamique que vous lisez un scénario ? Il faut vous embarquer dès la première page ?

Le page turner est toujours une bonne approche, mais je ne peux pas m’en contenter. Lorsque je lis un scénario, je peux être très facilement ennuyé si je constate qu’il impose une visée idéologique, et que cela se confirme de pages en pages. Je déteste ça, vraiment. Qu’on ne me dise pas « ce personnage est gentil, celui-ci est mauvais »… ça ne m’intéresse pas et ça m’énerve rapidement. Malheureusement, beaucoup de scénarios fonctionnent ainsi, au lieu de mettre en avant la complexité de la nature humaine. Ils peuvent faire de très bons articles de journaux ou des tracts politiques, mais je ne pense pas qu’ils puissent faire de bons films. On peut très bien donner une opinion politique dans un film, mais cela ne doit pas coller à tous les personnage. Dans ce cas, c’est juste un auteur qui parle à travers ses personnages. Les personnages doivent rester des êtres humains, ils ne sont pas les porte-paroles du discours de l’auteur ! Au contraire, le scénario qui me plaît est celui qui m’embarque, et qui me touche sans que je parvienne tout de suite à comprendre pourquoi, à tel point que j’ai besoin de le relire. Là, c’est bon signe.

Vous avez commencé votre carrière en même temps que Nicolas Winding Refn, avec  qui vous avez tourné quatre films, depuis Pusher (1996) jusqu’à Valhalla Rising (2009). Qu’avez-vous appris de cette relation artistique sur le long terme ?

Nicolas est une personne radicale. Les choses doivent se dérouler comme il le souhaite. Cela ne veut pas dire qu’il n’écoute pas les autres, car il est très attentif auprès de ses acteurs. Il est ouvert aux propositions qui sont susceptibles de rendre le film plus fort, plus fou, plus drôle ou plus émouvant. Mais il ne supporte pas d’avoir quinze supérieurs qui lui imposent des directives. Je pense que c’est très important lorsqu’on réalise un film. Si Lars von Trier écoutait tout ce qu’on lui disait, il ne ferait jamais ses propres films. Parfois vous échouez, parfois vous réussissez, mais si vous écoutez tout le monde et que vous n’essayez pas de faire les choses comme vous les sentez, vous tomberez dans le consensuel. Et ça ne satisfera personne. Avec Nicolas, c’était comme ça depuis le début. Et même lorsque le budget et le nombre de collaborateurs sont devenus de plus en plus importants, il n’a pas changé sa manière de faire du cinéma. Il faut faire ses propres films. C’est une façon de travailler que je trouve très inspirante.

Il y a une très belle génération de cinéastes danois, avec Tobias Lindholm, Thomas Vinterberg, Joachim Trier ou encore Anders-Thomas Jensen. Est-ce qu’il y a des cinéastes avec lesquels vous aimeriez travailler au Danemark, ou ailleurs ?

Je connais bien Tobias Lindholm car il avait co-écrit le scénario de La Chasse avec Thomas Vinterberg. Il fait de très bons films, j’aimerais travailler avec lui un jour. Il s’entoure souvent des mêmes collaborateurs, il a sa zone de confort comme beaucoup de cinéastes, mais si un jour il est prêt à travailler avec moi, je le serai aussi ! Sinon, Martin Scorsese fait partie de mon panthéon personnel. Sa période des années 1970-80 et son binôme avec Robert de Niro ont donné des films exceptionnels. Mean Streets, La Valse des pantins, Raging Bull, Taxi Driver… Ce sont des œuvres géniales. S’il a besoin d’un Danish guy pour un film, il peut m’appeler !

Nous avons entendu dire que vous pourriez retrouver Thomas Vinterberg, après La Chasse qui vous avait valu le prix d’interprétation au Festival de Cannes en 2012. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

En effet, nous allons commencer le tournage d’un film au printemps. Ce sera l’histoire d’un groupe d’amis qui tente de découvrir si l’alcool peut les rendre plus performants dans leur travail… mais je ne peux pas vous en dire beaucoup plus !

Propos recueillis par Victorien Daoût à Paris, le 30 janvier 2019, lors d’une table ronde avec Thomas Périllon (Le Bleu du miroir) et Enlil Albanna (Skript).

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