
Héloïse Pelloquet, forte de son expérience de monteuse (Petite Solange, À l’abordage) présente en ce moment au cinéma La passagère, son premier long-métrage en tant que réalisatrice. Dans le film, Cécile de France incarne une femme mariée dont les sentiments et les certitudes seront remis en cause par l’arrivée d’un jeune apprenti pêcheur, interprété par Félix Lefebvre. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec cette jeune cinéaste pétillante, ainsi qu’avec le très 2022 couple cinématographique qu’elle a imaginé.
Héloïse, vous avez une formation de monteuse. Réaliser et monter, ce sont finalement deux écritures différentes d’un film. Quel rôle avez-vous occupé dans le montage de ce premier long-métrage ?
Héloïse Pelloquet : Ce sont deux pratiques qui se complètent. Pour moi, le montage est une écriture, différente de celle du scénario, différente de celle du tournage, mais néanmoins l’une des dernières écritures du film. Forcément, je pense beaucoup au montage puisque c’est le moment où le film se sculpte. Sur La Passagère, c’est Clémence Diard qui était monteuse. J’avais toute confiance en elle et je l’ai laissée travailler. J’étais présente, mais pas plus que si je n’étais pas monteuse.
Dans quelle mesure le montage vous influence-t-il déjà lors de l’écriture ? Avez-vous toujours voulu réaliser des longs-métrages ou est-ce venu au cours de votre carrière de monteuse ?
HP : Quand j’écris le scénario, je pense déjà au montage dans les enchaînements de séquences. En tournage, je réfléchis beaucoup en terme de variantes avec les comédiens, afin de pouvoir continuer de sculpter les personnages ensuite, au montage. Souvent quand je refais une prise, comme j’ai quand même bien choisi mes comédiens, ça n’est pas parce qu’ils jouent mal mais pour avoir pleins de possibilités et pouvoir continuer dans la précision. Il ne s’agit pas de changer la vision du personnage mais plutôt de préciser ses réactions à certains événements, par exemple. On peut encore déplacer des choses au montage et je me garde des billes, d’une certaine manière. C’est comme ça que j’y pense. Et puis, dès les études, La Femis offre cette possibilité aux étudiants de la section montage de pouvoir réaliser s’ils le souhaitent. J’avais fait un travail de fin d’étude, un film mélangé d’images glanées – car c’était la consigne – et d’images tournées. J’avais déjà, donc, cette expérience de réalisation, et ça m’a plu. J’ai eu envie de continuer. À côté de mon travail de monteuse, j’ai commencé à faire un court-métrage, puis deux. Maintenant, assez naturellement, je jongle entre les deux. J’ai deux métiers.
Comment est né le projet de La Passagère ?
HP : Le projet est né doucement, comme une accumulation. Au départ, j’ai eu envie d’un personnage, de cette femme, et de ce qui lui arrive : qu’elle s’offre une aventure amoureuse pas évidente, parce qu’elle est mariée, parce que lui n’est pas du même milieu social. Ce qui m’a intéressée, c’était de savoir ce qu’en ferait le personnage féminin. Au départ, j’avais vraiment envie de cette personnalité de femme qui s’affirme, sans l’avoir recherché, parce que justement c’est une travailleuse. Je trouvais que c’était plus rare de montrer ça quand on parle de l’adultère féminin au cinéma. Ce n’est pas Emma Bovary qui rêve d’un amant, qui réfléchit… C’est quelqu’un qui ne l’a pas vu venir. Ça lui tombe dessus, et à partir de là, elle décide qu’elle a le droit, qu’elle a envie. C’est d’abord un désir érotique, elle a envie du plaisir que ça offre, de la jouissance. Et puis ça devient une histoire amoureuse et je trouvais cela courageux, j’avais envie d’un personnage de femme courageuse, ayant également le pouvoir de déplaire, parce qu’évidemment, cela ne va pas plaire à tout le monde. Chiara a cette lucidité là, cette sincérité avec elle-même.
Est-ce que vous pensiez déjà à Félix Lefebvre et à Cécile de France lors de l’écriture du scénario ?
HP : La question du casting est vraiment venue en fin d’écriture et je voulais un scénario présentable avant de l’envoyer à des comédiennes. Je tenais aussi à savoir qui interpréterait Chiara avant d’imaginer les deux hommes autour d’elle. Cécile de France revenait souvent comme un exemple, je disais souvent « ça pourrait être Cécile de France ». Quand on s’est posé la question d’à qui l’envoyer, ça a été d’abord à Cécile, et elle a très vite accepté ! Je me souvenais de Félix dans Eté 85 de François Ozon et j’avais l’impression que ça ne collerait pas. Je ne l’imaginais pas forcément dans ce rôle et on a trainé à le voir. Le casting fut donc très long, j’ai vu beaucoup de monde mais finalement Félix a tout pulvérisé à la fin. Le jour où je l’ai vu, ça a été fini (rires) ! Quand il a passé l’essai, je me suis rendu compte qu’il était déjà un grand acteur de composition ! Il était très différent de ce que j’avais vu chez Ozon. Je ne l’avait pas imaginé et c’était une erreur de ma part.

Cécile, Félix, qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce rôle ?
Cécile de France : Plusieurs choses ! J’ai vu les trois courts-métrages d’Héloïse et je les ai absolument adorés. Imane Laurence est exceptionnelle dedans et elle est filmée avec beaucoup d’originalité, de bienveillance, de drôlerie, de finesse. J’avais très envie d’être, à mon tour, le personnage féminin du cinéma d’Heloïse. J’ai énormément aimé le scénario et j’ai été sensible à sa très belle écriture. Cette manière d’assumer pleinement les scènes d’amour, ainsi que cette volonté de donner une représentation juste de la jouissance féminine est nouvelle. Le fait que ce soit l’histoire d’un jeune homme qui tombe amoureux d’une femme plus mûre, c’est novateur aussi, de plus que c’est en la regardant travailler qu’il s’éprend d’elle et pas dans une boite de nuit, à Paris, avec des talons aiguilles. C’est sa force, son courage et son entièreté qui font qu’il tombe amoureux d’elle. Je trouvais cela très beau. Ensuite, quand j’ai rencontré Heloïse, j’ai tout de suite eu envie de passer du temps avec elle. Elle m’a écrit une jolie lettre dans laquelle elle explique ce qu’elle aimait dans mes interprétations passées et ce qu’elle avait envie de retrouver chez Chiara. Et puis, il y a aussi le fait que je suis toujours contente de pouvoir participer à des premiers films, j’essaye d’en faire le plus possible. En fait, c’est très émouvant de participer à une première œuvre parce qu’il y a une nécessité, un besoin vital qu’ont les jeunes réalisateurs de raconter quelque chose qui est souvent profondément ancré en eux. Pouvoir y participer c’est très fort.
Félix Lefebvre : Tellement de choses m’ont aussi données l’envie de faire ce film ! C’était, pour moi, une évidence. À la lecture du scénario, j’ai été touché par l’histoire, par la sensibilité et la finesse de l’écriture. Être en face de Cécile de France aussi, ça ne se refuse pas ! J’ai également eu la chance de voir les courts-métrages d’Héloïse et j’ai tout de suite compris que je voulais tourner avec cette réalisatrice. Elle est extraordinaire, elle a un regard très singulier sur ses acteurs et j’avais envie d’être filmé comme ça. Aussi, c’est un rôle qui ne correspond pas à ce que j’ai fait avant. J’avais envie d’étudier ces nouvelles choses, pour m’explorer en tant qu’acteur et pour ne pas entrer dans une case.
Vous vous sentez proche de Maxence ? Incarner ce personnage, finalement assez séducteur, c’était une attitude facile à adopter face à Cécile de France ?
FL : Disons qu’au casting, Maxence m’est apparu. Il y a des rôles comme ça, parfois, où tu as de la chance, et instinctivement tu trouves ton personnage : dans le cas de Maxence, un peu espiègle, un peu téméraire et confiant. Après, une fois que j’ai été pris, il a fallu que je rentre dans un travail plus profond, pour vraiment devenir comme lui, avoir son courage et son audace. J’ai beaucoup travaillé et cette énergie du travail m’a transporté. C’est aussi dû à la vision très précise d’Héloïse. On a trouvé assez rapidement ensemble l’énergie du personnage grâce à son écriture.
Nous sommes témoins de différentes scènes de pêche particulièrement techniques. Est-ce qu’incarner le personnage de Chiara, ayant pour profession marin pêcheur, vous a fait sortir de votre zone de confort ?
CdF : J’ai plusieurs fois interprété des personnages dont les capacités physiques étaient de mise et où il fallait trouver cette vitalité, cette force. Ça m’a beaucoup amusée de pouvoir utiliser mon corps pour raconter de manière assez naturaliste ce métier. Pour nous, ça a été une chance de pouvoir, pendant une semaine, avant le tournage, apprendre ce métier sur le bateau qu’on a utilisé pour le film. Une semaine intensive parce qu’il fallait pêcher pour de vrai ! Comme à l’usine, il fallait apprendre les gestes. Ce qui était génial pour nous, c’est que ça nous permettait d’être directement dans nos personnages, sans devoir se documenter, etc. Quelque part, ça nous a facilité la tâche.
Ce rôle d’étrangère, établie dans un autre pays, mais également étrangère à sa propre vie, a-t-il résonné en vous ?
CdF : Je pense que le fait qu’elle soit belge, déracinée, de passage sur cette île m’a beaucoup touchée. On voit qu’elle doit continuer sa vie, et affronter le regard de ces gens, en tant qu’étrangère. Même si ça ne me touchait pas de manière très intime, ça a résonné quelque part, peut-être parce que je suis belge aussi. On s’est d’ailleurs amusées à ressortir de temps en temps l’accent !
On retrouve au visionnage du film, à travers le choix des comédiens, l’actrice d’expérience et le jeune acteur prometteur. C’était une intention de votre part, mêler le statut réel de ces comédiens, leur aura, à celui de vos personnages de fiction ?
HP : Ah… ! Je n’y ai jamais réfléchi. Il y a peut-être un peu de ça, oui… Après, forcément la personne qui incarne Maxence ne pouvait être qu’un jeune comédien. C’est marrant, c’est une bonne question ! Oui, j’aurais pu prendre une vraie pêcheuse pour le rôle, ou une comédienne moins identifiée. Je ne sais pas, c’est mystérieux de comprendre pourquoi on a envie de filmer quelqu’un, d’un coup. J’aime mélanger des comédiens et des non-comédiens, mais elle, Chiara, j’avais envie qu’elle soit à part. C’est pour ça d’ailleurs qu’elle n’est pas française, elle est belge. Elle est belge, parce que c’est Cécile, mais je cherchais une comédienne qui n’était pas française. Cécile s’est amusée, comme elle le disait, à reprendre un petit accent de temps en temps. J’avais envie qu’elle ait quelque chose à part, que dans la communauté elle soit intégrée, puisque le film raconte ça, elle est la depuis vingt ans. Mais comme vous dites, il y a une affaire d’aura parce que c’est vrai, j’avais envie qu’elle soit puissante. Il y a quelque chose de très charismatique. Il tombe amoureux d’elle instantanément. Ça n’a pas été facile à doser et à trouver puisqu’il fallait quand même qu’elle soit crédible sur un bateau de pêche et se dire, ok, elle fait ça depuis vingt ans. Ça, parmi les comédiennes, c’était difficile à trouver, et avec Cécile j’y croyais. Elle a un jeu très physique et ça devenait crédible pour moi.
Quand la plupart des représentations, à notre époque, montrent des femmes jeunes avec des hommes plus âgés, vous exposez une situation contraire. Est-ce que cet aspect, cette représentation, c’est un problème pour vous ?
HP : Le film propose une forme de rééquilibrage. Forcement je le fais et c’est volontaire. Je sais que ça existe, plus encore dans la vie qu’au cinéma pour la configuration inverse, c’est vrai. Il y avait aussi une affaire de milieu social. Je trouve souvent que chez les femmes, quand elles trompent leur mari, il faut leur trouver des raisons. Souvent la raison c’est qu’elles s’ennuient, qu’elles n’ont rien à faire et ne travaillent pas : soit elle sont femmes au foyer, soit ce sont de grandes bourgeoises qui n’ont pas besoin de travailler, ou bien ayant perdu un enfant. Il y a toujours un truc, une blessure intime, et je voulais qu’il n’y ait pas de raison, justement. Dans La Passagère, c’est une femme qui travaille, qui fait un métier très exigeant, très intense, pour qui les jours de congés sont fluctuants et dépendent de la météo. Dès le début du film une scène le raconte, elle aime son mari et on sent qu’ils sont complices, qu’il y a de la sensualité. Elle se marie et le désire encore. Il n’y a pas d’enfants mais elle n’est pas non plus en mal d’enfant. Je ne voulais pas qu’il y ait de raisons, puisqu’il y aurait eu sinon une justification, et donc une morale. Le film affirme vraiment ça, il n’est pas question de morale mais d’amour, de sentiments et de complexité humaine.
Est-ce que quand on est une femme et réalisatrice on se sent responsable, on éprouve la nécessité de changer ces représentations ?
HP : Il y a évidemment le fait de se sentir responsable, mais aussi simplement le fait que j’en avais envie. Il y a quelque chose d’excitant dans le fait de représenter des femmes puissantes. Il y a la question de la représentation de l’acte sexuel au cinéma dont on parle énormément. On parle de « female gaze » maintenant et c’est très bien, dans le sens où, forcement, je suis une jeune femme, je fais un film d’amour, j’ai très envie de m’emparer de ça et de me poser moi-même la question : quelle représentation j’ai envie d’offrir ? quelle est la représentation qui me manque ? Mais je voulais également questionner ce que l’on montre chez les hommes. Il y a la puissance de Chiara, mais il y a aussi la douceur de son mari, qui était très importante pour moi. Il n’a pas tout à fait la réaction attendue : elle est plus noble, plus douce que ce que l’on pourrait imaginer.
On dit que les actrices, quarante ans passés, ne trouvent plus de rôles interessants mais Cécile de France, vous semblez prouvez le contraire (Mademoiselle De Joncquière, Illusions perdues…), comme l’évoque d’ailleurs le premier épisode de la série Dix pour cent. Quel est votre état d’esprit par rapport à ça ?
CdF : Il est vrai que j’ai senti que je devais faire mes preuves pour passer ce cap de la quarantaine. J’ai constaté qu’effectivement, il y avait moins de rôles. Mais étrangement, c’est au même moment que la société a décidé de changer la représentation de la femme à l’écran. Ces bouleversements merveilleux, j’en profite autant que j’y participe. Maintenant, il y a enfin de plus en plus de « female gaze » alors qu’on s’était habitué au fait que la majorité des histoires prenait le point de vue opposé. Moi-même, j’ai mis du temps avant de le comprendre, j’ai du tordre ma vision et me mettre à la place du garçon dans beaucoup de fictions.
Est-ce qu’incarner une femme nouant une relation sentimentale avec un jeune homme avait une portée politique ? Quelle attitude avez-vous adopté face à Felix Lefebvre ?
CdF : Le cinéma d’Héloïse n’est pas un cinéma qui revendique quoique ce soit. Au contraire, elle fait réfléchir sur la morale sans en imposer une. C’est un cinéma simple, généreux et populaire. Je ne me suis pas dit « Ah il faut faire ce film parce que politiquement c’est important ». C’est le côté artistique et l’histoire qui m’intéressaient. Après, il se trouve, effectivement, que cette relation n’est pas dans les normes dominantes. J’ai aussi beaucoup joué les homosexuelles, et en voyant l’effet positif que ça a eu sur beaucoup de femmes, j’ai compris que ces répercussions étaient très importantes. Un film peut changer votre vie, vous donner des idées, vous permettre de vous évader pendant une heure et demie et de vivre par procuration, au travers d’une héroïne qui est libre et ose être désobéissante. Même si c’est quelque chose de très fort, ça ne doit pas être un but en soi : je suis une artiste avant d’être une militante.
La passagère met en exergue un certains refus de la vie conjugale. Selon vous Héloïse, on peut se réaliser en tant que femme, tout en étant mariée ? Je ne sais pas si cette question/réponse est vraiment pertinente, ça fait bizarre comme conclusion je trouve
HP : Hmm… Oui,… oui. Pour moi c’est indépendant. Je ne suis pas mariée, je parle de ce que je ne connais pas… Mais quand même, c’est intime, c’est un rapport au couple… Elle me pose une colle votre question ! Mais, oui, bien sûr, d’ailleurs il y a plein de mariages très libres et ça n’est pas une question de fidélité ou d’infidélité. Je pense qu’on peut s’accomplir dans tout un tas de configurations amoureuses différentes. C’est une question de rapport à soi et de rapport à l’autre.
A reblogué ceci sur AnaLise.
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