
Dans un futur proche, fait « d’espoirs et de conflits », l’astronaute Roy McBride (Brad Pitt) est convoqué par ses supérieurs pour une mission classée secrète : afin d’empêcher la multiplication d’explosions qui menacent la Terre, il doit se rendre aux confins du système solaire, au niveau de Neptune, d’où proviendraient les incidents cosmiques. Là-bas, il devra aussi envoyer un message vers le vaisseau du « Projet Lima » où son père (Tommy Lee Jones) a disparu seize ans plus tôt alors qu’il cherchait à vérifier l’existence d’une vie extraterrestre.
James Gray, l’un des auteurs américains les plus importants de ces vingt dernières années, se lance à son tour dans l’odyssée spatiale, suivant la route de ses collègues Alfonso Cuarón (Gravity, 2013), Christopher Nolan (Interstellar, 2014) ou Damien Chazelle (First Man, 2018). Le chemin qu’il emprunte dans ce lieu de plus en plus exploré par les cinéastes est toutefois très personnel, d’une cohérence frappante avec le reste de son œuvre. La filiation la plus évidente se trouve avec The Lost City of Z (2016), qui mettait en scène une relation père-fils au sein d’expéditions dans l’inconnu de la jungle sud-américaine, à la recherche d’une mystérieuse cité. Ici, c’est un voyage spatial qui alterne entre l’intime et le grandiose. Visuellement superbe, mais émotionnellement froid.
Ad Astra s’impose d’abord comme un modèle d’épure. La mise en scène trace finement des motifs qui font de ce futur de fiction un lieu du possible. Si pessimiste soit-il : la Lune, où l’on se rend en prenant les transports en commun, abrite un centre commercial et des enseignes de fast food, comme une sorte de parc d’attraction qui aurait perdu son aura – pour ce qui est de la face visible. En quelques plans, le décor est posé et une autre réalité, pas si lointaine, est suggérée. L’esthétique développée par le film, magnifiée par la photographie de Hoyte van Hoytema (également chef opérateur d’Interstellar), s’origine aussi dans des séquences impressionnantes, à l’instar d’une course-poursuite sur le sol lunaire, ou de l’ouverture, inouïe, dans laquelle Roy chute depuis le haut d’une station spatiale. Ce dernier moment relève d’une forme de spectaculaire métaphorique : la chute est autant physique que symbolique. Originelle. Roy devra en effet se relever pour trouver le sens de son existence, au cours d’un périple certes à l’autre bout du système solaire, mais surtout vers le père et en soi. Comme tous les fils, selon l’argument psychanalytique, il endosse la culpabilité des fautes commises par son père et doit le « tuer » pour s’en libérer. Celui-ci, admiré jusqu’à l’imitation – Roy a reproduit son parcours professionnel, et se trouve aussi peu enclin que lui à mener une vie de famille -, est à la fois le centre de gravité et l’obstacle à franchir.
Seulement, cette double lecture du film le rend passionnant en même temps qu’elle constitue sa limite, car c’est de façon très théorique que la science-fiction se marie à l’introspection freudienne. L’enfermement de Roy McBride, homme très verrouillé, en proie à une solitude existentielle qui le pousse à maîtriser tous ses affects, a pour corollaire celui du film. Comme si le propos devait rester du domaine des idées et du verbe. Ad Astra alimente une retenue vis-à-vis de l’incarnation de son sujet, à l’image du traitement des rôles secondaires. En premier lieu la femme du héros, jouée par Liv Tyler, figurante dans la vie de son mari comme dans le film, trop abstraite pour transmettre quelque émotion de bout en bout.
La voix off contribue beaucoup à ce refroidissement des réacteurs : elle accompagne et explique souvent ce qui est déjà mis en scène, apportant peu à ce que Brad Pitt, extraordinaire de précision, fait déjà passer par son visage. Loin de l’usage que pouvait en faire, par exemple, Terrence Malick dans The Tree of Life (2011), avec le même Brad Pitt, où les images accompagnaient les interrogations off des personnages dans un dialogue ouvert, fait d’échanges et de correspondances. Ici, la voix appuie lourdement le cheminement du héros, au service de la progression d’une narration plutôt que de la profondeur d’une prière. Alors, sans porter atteinte au pouvoir de fascination d’images exceptionnelles, ce parcours intime perd un peu de son mystère.
Ad Astra / De James Gray / Avec Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Ruth Negga, Liv Tyler / Etats-Unis / 2h04 / Sortie le 18 septembre 2019.
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