
II y a un certain plaisir à constater que, derrière les singularités des cinéastes et leurs déterminismes socio-culturels, les lycéens restent les mêmes.
Jeunesse en sursis a beau venir d’Ukraine, on reconnaît parfaitement le trio d’anticonformistes « artys » auquel appartient Masha : ni harceleurs, ni harcelés, toujours collés ensemble même si à l’aise socialement, dont la proximité physique semble aller de pair avec un désir curieux. Il en est de même pour Sasha, jeune homme évasif et populaire, sur lequel Masha a jeté son dévolu.
Sans forcer sur les stéréotypes, les personnages sont parfois un peu lisses, au sens propre comme au figuré. Pour autant, le film joue la carte de l’authenticité : le jeu est naturel, la mise en scène sobre et l’intrigue tournée vers le quotidien. La présence des réseaux sociaux fait preuve d’une véritable connaissance du sujet et d’une conscience de leur potentiel romantique. Les personnages sont filmés sans être magnifiés, dans leurs chambres instagrammables ou leurs soirées américanisées.
La force du film tourne autour de deux contrastes : le premier entre une esthétique tendre et la violence de certaines thématiques (il est notamment question de mère toxique et d’automutilation), le second entre l’approche réaliste du récit et l’onirisme de quelques séquences. Il suffit à la réalisatrice de filmer un jeune homme jouer au badminton en pleine tempête pour créer une très belle et inquiétante étrangeté. Mais ce penchant chimérique n’en est pas moins ancré dans le réel, à l’image de cette très intense scène de slow : un long plan balaye les visages de Masha et Sasha le temps d’une chanson, avant que les lumières ne se rallument et marquent la fin de ce moment hors du temps que l’on voudrait éternel. La conclusion, d’une étrange douceur, vient panser les cœurs brisés mais remplis de souvenirs intenses. Aucune intrigue n’est résolue, illustrant le caractère transitoire de l’adolescence.
Jeunesse en sursis n’est pas exempt de maladresses : certaines images mentales sont trop artificielles pour toucher et son hybridation entre documentaire et fiction interroge plus qu’elle ne convainc. C’est malgré tout un film plein de cœur et de sensibilité : du vrai cinéma teen, à fleur de peau et frontal.
Jeunesse en sursis / De Kateryna Gornostai / Avec Maria Fedorchenko, Arsenii Markov, Yana Isaienko / Ukraine / 2h02 / Sortie le 14 septembre 2022.