Animalia

Au cinéma le 9 août 2023

© Ad Vitam

C’est au sein d’une image toute nappée d’or – celui de la richesse qui s’exhibe dans les décors – que vit Itto, jeune femme d’origine modeste, mariée et enceinte du fils d’une noble famille. Alors qu’elle vit avec eux, sous le regard méprisant de sa belle-mère, encadrée par le cadre mais aussi par les différentes pièces de la maison qui l’enserrent comme dans un écrin de porcelaine, elle détonne par sa posture, en retrait, analysant, pensant et écoutant, plutôt que parlant. Elle est à l’écart, en trop ou pas assez…

Elle ne sait pas où est sa place, la cherche dans les yeux de son mari, dans le paraître, les faux-semblants, les sourires forcés, jusqu’au jour (qui arrive assez rapidement dans l’intrigue) où survient une catastrophe naturelle, des phénomènes météorologiques inexpliqués, qui inquiètent l’ensemble de la population. Itto et son mari se trouvent, par une facilité scénaristique, séparés l’un de l’autre, et malgré les coups de téléphone qu’il lui adresse pour la rassurer (dont les dialogues pêchent par leur manque de naturel), elle décide d’aller le rejoindre. Que signifie ce soudain cri du ciel ? Quel message envoie-t-on de là haut ? Qui parle ? Par quel langage ?

Du métal clinquant, saisit en plans séquences magistraux et en cela étrange, qui nappait l’environnement d’Itto, nous nous retrouvons dans la poussière du désert, des rues, de l’extérieur. Débute un voyage entre deux villes, mais surtout entre deux parties d’Itto, deux moi diffractés, que la protagoniste s’évertue à lier au sein de cette épreuve initiatique. Elle va se rendre compte que l’argent n’est pas le remède à tous les problèmes, confronter son opinion religieuse à d’autres convictions, demander à être aidée et aller vers l’autre.

Le film trouve sa résonance politique dans le propos qu’il déplie sur la religion, invoquée comme une solution face à ces évènements surnaturels (des chiens qui se regroupent en cercle et hurlent la nuit, d’autres qui mordent sans raison apparente, des nuées d’oiseaux qui s’envolent et cet espèce de tourbillon de poussière, d’où émerge un faisceau de lumière verte). Itto murmure des prières, la tête couchée sur le sol, les mains à plat, jusqu’à ce qu’elle soit face à cette immense tornade. Aux côtés de l’ami qui lui permet de traverser le pays, elle se dédouble et entre en elle-même, au plus profond de ses croyances : elle voit sa belle famille, priant, son mari qu’elle embrasse mais qui semble imperméable à ses gestes d’attention, puis se retrouve dans le désert, entourée d’un troupeau de moutons, dont un vient vers elle. Elle le caresse, et se met à pleurer. Les plans qui saisissent cet instant s’attardent sur le grain de sa peau, sur la larme qui perle, qui tombe dans un trou noir, pour devenir l’univers entier, une étoile, jusqu’à former une nuée, et apparaître en superposition de sa pupille dilatée. Cette séquence – d’une incroyable beauté, hissée vers le fantastique – met le spectateur en face des limites de la religion. Ce lyrisme situe Dieu là où on ne l’attend pas, comme un tout et un rien à la fois, mais peut-être au-delà de tout cela : il est une présence (ce mouton qu’Itto vient caresser et enlacer), un être au monde, l’autre.

Telle est bien la découverte d’Itto, qui évolue au fil de l’intrigue et des rencontres qui croisent son chemin. Elle renoue avec son passé, avec les traditions et la langue berbère, sa culture maternelle, mais surtout, crée des liens uniques, qu’elle aura du mal à oublier lorsqu’elle retrouvera sa belle-famille. Elle va se mettre à poser des questions – ces questions qui dérangent tant le quotidien tranquille de son mari -, achevant le film sur un blasphème : lors d’une prière, alors que les hommes sont à l’intérieur de la mosquée et les femmes à l’extérieur, des oiseaux viennent obstruer la concentration générale en se posant sur le dos des croyants. Itto est persuadée qu’elle ne doit être séparée de son bien-aimé, et après une vague de terreur interne et alors que l’image commence à flirter avec le flou et la distorsion, elle court le chercher à l’intérieur, là où elle ne peut être, là où elle enfreint les lois. Mais Itto n’a que faire des règles : ce qu’elle sait à présent, c’est qu’elle doit écouter sa Voix intérieure.

Animalia / De Sofia Alaoui / Avec Oumaïma Barid, Mehdi Dehbi, Fouad Oughaou / France, Maroc / 1h30 / Sortie le 9 août 2023.

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