Marcello Mio

Actuellement au cinéma

© Les Films Pelleas

Une affaire de famille. Tel est le cinéma d’Honoré, métafilmiquement – on y retrouve souvent des visages fidèles – et thématiquement, tâchant de redessiner les contours de la sphère familiale. Une affaire de famille, mais aussi de fantômes, ce qu’illustrait plus foncièrement que jamais Chambre 212. Dans Marcello Mio, c’est moins un spectre qui hante le présent que les vivants qui hantent les absents. Au point d’en ressusciter. Chiara Mastroianni devenant le fantôme de son père dans une fiction où chacun campe son propre rôle, participant d’une comédie rêveuse où l’identité vacille.

C’est d’abord sous les traits d’une Anita Ekberg de kermesse que l’on découvre Chiara, dans un pastiche minable de La Dolce Vita qui la malmène, subissant symboliquement l’ascendance de son père. Puis un casting avec Nicole Garcia enfonce le clou : il faudrait jouer la scène plus Mastroianni que Deneuve. Sous le poids des comparaisons qui la figent, étouffent sa singularité, Chiara fait le choix radical de fondre entièrement son « moi » dans celui de Marcello, suscitant émois divers, de la vague incompréhension à la franche désapprobation, ou l’adhésion enthousiaste.

Si le trouble qu’inspire la métamorphose de l’actrice évoque immanquablement une expérience transgenre, ce qu’elle est de facto puisqu’elle se genre au masculin, il révèle surtout sans discourir, par une poésie ludique, la disjonction inhérente à la construction identitaire. Les jugements et réactions de son entourage, avant comme après sa « transition », agissent, modifient sa perception d’elle-même. Notre identité nous appartient-elle ? Pas tout à fait, et c’est bien par la négation de l’originelle pour celle du père disparu, en tous points aberrante, que l’assignation par autrui se défait.

La confusion des frontières entre l’espace du rêve et de la réalité devient la condition d’un jaillissement du vrai. C’est tout le sens de ce petit théâtre, et qui le sauve, malgré ce qu’on a pu en dire, d’un manège en vase clos, quoiqu’il semble difficile d’ignorer le manque de souffle d’une mise en scène réprimée, amuïe par les situations et les relations qu’elle saisit. Le régime du rêve qui émerge peu à peu n’advient que par des touches d’invraisemblance au sein d’un scénario qui se passe d’esthétique, bornant précisément l’œuvre aux dimensions d’un théâtre proprement filmé, émaillé par endroits de rares idées superficielles de montage.

Heureusement que ce théâtre espiègle, délicatement écrit, opère – rappelons que l’auteur est aussi dramaturge et romancier -, constituant la matière d’une œuvre subtile sur les puissances du jeu, du masque, et de la fiction. Il faudra que tout le monde commence à y croire, que le trouble perdure et s’accentue pour que l’absence irréversible du père s’accueille, et que naisse ainsi une identité plus vraie. La faculté du masque à démasquer l’être apparaît comme le cœur de Marcello Mio, où la convocation du fantôme de la star est moins le sujet qu’un objet. Moment inexorable mais renversant, c’est lorsque Deneuve pose ses lèvres sur celles de sa fille/amant que le jeu enfin apparaît impossible. Signe d’un statut intenable, car incestueux, le baiser figure par-dessus tout la croyance la plus absolue. D’un artifice aussi génial que rudimentaire, Honoré tire une œuvre furtivement exaltante, qui fait du temps de la fiction un espace transitoire où l’identité peut s’apprécier avec plus de clarté. 

Marcello Mio / De Christophe Honoré / Avec Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Fabrice Luchini, Benjamin Biolay, Nicole Garcia, Melvil Poupaud / France / 2h01 / Festival de Cannes 2024 – Compétition / Sortie le 22 mai 2024.

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