Grand Tour

Festival de Cannes 2024

© Tandem Films / Shellac Films

De sa grande roue inaugurale jusqu’à ses motards tourbillonnant sans-cesse façon Playtime en passant par ses quelques musiques pop intrusives : comme le laisse présager son titre, Grand Tour a des allures de manège. Mais contrairement au plaisir éphémère de l’attraction, le nouveau-né de Miguel Gomes laisse une trace indélébile.

Mêlant une partie fictive, qui suit la fuite d’un fonctionnaire anglais de son mariage, à une autre documentaire, l’étrange projet du cinéaste portugais se plaît à adopter une forme sans pareille, faisant vivre le récit à travers des séquences classiques en studio – dans un superbe noir et blanc – mais également à travers des images contemporaines post-COVID. L’hybridité d’une telle approche pourrait laisser craindre un vain roman-photo, à peine relié par un voix-off narratrice, mais Grand Tour trouve dans ce bouillonnement esthétique une beauté rare, qui se manifeste lors de miraculeux moments de flottement. Le défilement d’images convie ici autant de références – les spectres de Sans Soleil, Le Fleuve ou India Song ne sont pas loin – qu’il les balaye automatiquement par sa constante fuite en avant.

La boulimie mentionnée n’est toutefois jamais au service d’une pure orfèvrerie autocentrée. Débarrassé de toute structure et tout tempo donné, les parties documentaires prenant le pas sur celles fictives et inversement, Grand Tour parvient à formaliser la lutte interne et historique de son fil rouge. Au-delà de l’absurdité d’un amour contrarié, voyant la lâcheté du mari et la naïveté de la femme s’exprimer avec une candeur presque touchante, les images tendent ici à remettre peu à peu en avant un peuple colonisé. Par ses personnages secondaires forts (Ngoc) ou l’omniprésence progressive des scènes documentaires, Gomes redonne peu à peu le langage parlé et visuel au peuple asiatique. Les colons ne contrôlent plus l’image-cinéma, mais deviennent simplement des acteurs d’une histoire et d’un territoire qui, une fois la lumière et les projecteurs de la salle rallumés, n’a plus besoin d’eux.

Grand Tour / De Miguel Gomes / Avec Gonçalo Waddington, Jani Zhao, João Pedro Vaz et Teresa Madruga / 2h09 / Portugal, Italie, France, Allemagne, Japon, Chine / Festival de Cannes 2024 – Compétition Officielle.

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