Septembre sans attendre

Festival de Cannes 2024

© Arizona Distribution

« L’amour reprise est en vérité le seul heureux ». Jonás Trueba lie philosophie et pratique dans Septembre sans attendre, Kierkegaard et cinéma. Il y a ce qu’on dit mais qu’on ne devrait pas faire : le père d’Ale a souvent raconté à sa fille et à Alex, son compagnon, qu’il est plus amusant de fêter les séparations que les unions. Après quinze ans de vie commune, Ale et Alex le prennent au pied de la lettre.

L’organisation de la fête de séparation ressemble à celle d’un mariage : on choisit les invités, le lieu, le groupe de musique. Puis, il faut l’annoncer aux amis, à la famille. Or il est extrêmement difficile de convaincre quelqu’un qu’on va bien. Ale et Alex ont beau insister : c’est une décision commune et ils en sont heureux, leurs amis ne cessent de soupçonner leur incertitude et leur tristesse. 

Le cinéaste met en scène avec humour les réactions dépités face à la séparation et celles ahuries à l’annonce de la fête. À force de répéter les choses, on se rend compte de leur absurdité et à force de s’entendre dire les choses, on finit par y croire. Leurs amis sont certains : ils vont se remettre ensemble. En le leur disant, ils plantent dans la tête d’Ale et d’Alex l’idée, donc la possibilité. Parce qu’il y a aussi ce qu’on ne dit pas mais qu’on devrait faire…

Trueba filme la répétition de la parole pour une reprise de l’action. « L’amour reprise est en vérité le seul heureux ». Encore une fois : « L’amour reprise est en vérité le seul heureux ». Les mots de chaque personnage gagnent l’autre, ils doivent être dits et redits jusqu’à être assimilés et devenir vérité. Après l’avoir répétée deux fois, comme une formule magique, l’amour reprise est prêt à être consommé.

Le réalisateur fait des images des illustrations de la répétition langagière : Ale monte un film dans lequel joue Alex. Devant son ordinateur, elle regarde les rushs, elle revoit les rushs. Les images aussi peuvent être reprises : on retourne un plan ou visionne une scène plusieurs fois. De nouvelles idées s’incarnent délicatement alors que la certitude de la séparation s’étiole doucement. Alex passe un casting et doit filmer chez lui une audition, Ale est derrière la caméra. L’acteur prononce les mots du scénario (une scène de rupture) mais dans sa voix s’entend le doute. La lumière change sur son visage, ses variations laissent deviner des fluctuations d’émotions. Il y a ce qu’on dit mais qu’on ne pense pas. C’est la première fois que la répétition de la parole et de l’image suggère une divergence : les personnages sont de moins en moins convaincus par leur propre discours. 

D’une comédie sur la séparation du couple, Septembre sans attendre devient un drame sur la rupture amoureuse, tout en laissant entrevoir la possibilité d’un film romantique sur la renaissance du désir. Merveilleux.

Septembre sans attendre / De Jonás Trueba / Avec Itsaso Arana & Vito Sanz / Espagne / 1h54 / Festival de Cannes 2024 – La Quinzaine des Cinéastes.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 0630953176

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