Miséricorde

Festival de Cannes 2024

© Les Films du Losange

Franck, laissé seul dans la nuit sombre, face au corps inerte de son ami assassiné : cette image, dernier plan de L’Inconnu du lac, semblait déjà marquer l’apogée d’un certain trouble existentiel qu’Alain Guiraudie vise depuis longtemps. Que filmer donc après la tombée de la nuit et la mort de toutes choses ? Plus de dix ans après, Miséricorde apporte quelques éléments de réponse.

Passés les lacs ensoleillés du Sud ou la froideur urbaine de Clermont-Ferrand, Guiraudie pose son dévolu sur le Jura, en contant le retour de Jérémie (Félix Kysyl) dans le village de son ancien patron boulanger désormais décédé. À la faveur d’un long travelling introductif sur une route sinueuse, qui officie comme une entrée en matière dans la région citée, Miséricorde n’est pas sans rappeler le récent Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi) dans sa propension à filmer la ruralité non pas comme un espace naïvement paisible mais comme la source d’un malaise invisible.

Au cœur d’un éventail de relations troubles, Jérémie navigue de non-dits en non-dits, comme objet et sujet d’un désir incontrôlable. Pourtant, la narration de Miséricorde a cela de complexe qu’elle ne se limite pas à cette hypothétique passion, qui animerait schématiquement tous les personnages et leurs zones d’ombre. En fin scénariste (et dialoguiste) qu’il est, le cinéaste touche ici un certain vertige humain, à mesure qu’il jongle entre les tons et opacifie par la même occasion ses différents acteurs.

Sous ses percées comiques et ses pulsions de mort, Guiraudie rend indéfinissable le mal-être présent ici-bas. En parcourant les rues désertes de la petite commune de Saint-Martial et les forêts silencieuses de ses alentours, Miséricorde fait état d’un outre-monde, déjà évoqué par la fin de L’Inconnu du lac, dans lequel tout amour est condamné – celui du prêtre comme celui que Jérémie porte à son ancien patron – et tout contact physique évacué, jusqu’à un sublime dernier plan qui devrait débarrasser de la torpeur générale, mais qui ne fait étrangement que la nourrir.

Miséricorde / De Alain Guiraudie / Avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay et Jean-Baptiste Durand / 1h42 / France / Festival de Cannes 2024 – Cannes Premières.

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