Dune : Deuxième partie

Actuellement au cinéma

© Warner Bros. Entertainment Inc.

La tâche était lourde, écrasante pour Denis Villeneuve que de faire renaître à l’écran l’univers foisonnant de Franck Herbert, aux complexes intrications politiques et mystiques. Malgré son air de film d’exposition, la faute à un découpage industriel en deux volumes, et sa nature dissonante, aux velléités introspectives couplées à des ambitions esthétiques d’envergure, toutes deux étouffées par les contraintes d’efficience narratives inhérentes au projet, Dune : Première partie illustrait déjà sa pleine saisie des conflits essentiels du roman. Le heurt entre deux cultures, deux rapports au monde qu’expérimente Paul Atréides, et son dilemme identitaire, happé par le désert auprès des Fremen, rattrapé par son héritage, appelé, enfin, à un destin transcendant.

Ce nœud ô combien tragique, Dune : Deuxième partie le resserre encore jusqu’au déploiement final de son héros, aussi triomphant que catastrophique. Une disjonction terrassante, digne des grands drames antiques, qui malgré des lacunes excepte le film des autres superproductions. Cette singularité, on la pressent dès les premières images, inattendues, puisqu’on avait laissé Paul en compagnie des Fremen, alors que l’on découvre la princesse Irulan, d’abord présente en voix-off, puis les jardins de l’empereur Shaddam IV et le visage du quasi disparu Christopher Walken, taciturne et pourtant crevant l’écran, dont le regard bleu cristallin semble contenir des mers entières d’inquiétudes, parsemées de regrets. Heureux constat : aux paysages, Villeneuve ne sacrifie pas les visages.

Avant de rejoindre Paul et sa mère lors d’une séquence crépusculaire de guet-apens haletant, Villeneuve resitue ainsi le cœur de son œuvre dans les rapports de pouvoirs, les jeux d’influence, la place en leur sein de l’individu et de sa volonté. C’est pourquoi le cinéaste ne peut délaisser les visages, bien que l’on aurait espéré qu’il s’y perde un peu plus. Sur celui de Paul bien sûr, héros écartelé entre ce qu’il veut et ce que l’écrit Bene Gesserit attend de lui, entre son désir d’une vie humble auprès de Chani, du peuple Fremen, et sa destinée messianique, déjà écrite. Or jamais on n’aura vu un héros de blockbuster se débattre de la sorte contre les invariants de son propre récit.

Ce conflit intérieur, que déroule sans cesse la trame narrative, la mise en scène manque hélas de l’incarner entièrement. Une bévue pour un film dont chaque plan manifeste l’obsession formelle, Villeneuve confondant sans doute trop souvent esthétisme avec esthétique. Mais cet esthétisme imprègne assez la rétine, et la mise en scène, dans les moments de bravoure, parvient à s’épanouir. Lors d’une scène d’affrontement, où Rabban Harkonnen et ses sbires, piégés dans une brume sableuse, se retrouvent assaillis par les Fremen, furtifs, traversant le champ presque imperceptibles, montrant ainsi toute la maîtrise de leur environnement face à des guerriers étrangers, ignorants et suréquipés. Lors encore de la chevauchée de Paul sur le ver des sables, le shai ulud, épreuve décisive dont on ressent l’âpreté, où l’on expérimente avec Paul l’embrassement du désert, autant que son avènement.

Un avènement contrasté, puisque Paul, sous le poids d’une fatalité triple – politique, familiale et religieuse – s’acheminera vers un avenir sinistre, reniant ainsi ses intentions désintéressées. Reniant ses amours, Chani et son monde, pour celui du pouvoir. Le cinéaste fait ici un choix qui l’honore, celui de s’écarter du roman dont il avait peiné, jusque-là, à se départir, afin de réinterpréter le regard de Chani, faisant de cette dernière celle qui le raccroche aux valeurs de son peuple. Celle qui, en somme, le rattache au réel, la jeune guerrière ne croyant pas au mythe du prophète. Un point de vue salutaire qui accomplit ce que devrait viser toute entreprise d’adaptation, en portant, tout en respectant l’œuvre source, un regard inédit. Ce regard porté par Villeneuve confère à Dune une beauté nébuleuse, entêtante, résonnant puissamment avec les affres de notre époque.

Dune : Deuxième partie / de Denis Villeneuve / Avec Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Ferguson, Javier Bardem, Christopher Walken, Austin Butler, Léa Seydoux, Josh Brolin, Florence Pugh, Stellan Skarsgård / U.S.A / 2h46 / Sortie le 28 février 2024.

Une réflexion sur « Dune : Deuxième partie »

  1. Merci Albin pour cette envolée critique, de très loin ce que j’ai lu de mieux sur ce film.
    Il y avait beaucoup à craindre des facilités qu’aurait pu suivre le scénario de cette seconde partie afin de le ramener dans l’ornière du grand divertissement moral et aseptisé hollywoodien. Certaines mauvaises langues en noteront malgré tout les scories en pointant certains choix de distribution, d’accommodations avec le genre. Mais le cœur du sujet reste intact, parfaitement irrigué par la connaissance irréprochable de l’œuvre source de la part de Villeneuve, dont l’horizon ne se limite d’ailleurs pas au volume qu’il adapte à l’écran. C’est bien là qu’il se démarque du tout venant du blockbuster. Dune semble certes sculpté dans un bloc, mais un bloc d’auteur.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire