
La sortie de Tremblements en mai 2019 plaçait le Guatemala au cœur de l’actualité cinématographique. Quelques semaines plus tard, la Semaine de la critique du Festival de Cannes mettait à l’honneur un autre film venu de ce pays d’Amérique centrale, où seules des initiatives individuelles peuvent permettre l’émergence d’un cinéma national. César Díaz, documentariste et monteur de Tremblements et Ixcanul, les deux films de son compatriote Jayro Bustamante, situe l’histoire de Nuestras Madres au Guatemala en 2018, alors que la guerre civile menée par des militaires a meurtri la population. Le nombre de disparus est immense, et un jeune anthropologue, Ernesto, s’occupe de l’identification des corps. Bientôt, il se met en tête de retrouver son père, un ancien guérillero dont il a perdu la trace.
À travers le personnage principal se croisent la quête d’un père et le deuil de tout un peuple. Ernesto, très bien interprété par Armando Espitia, dont le visage juvénile exprime une douleur silencieuse, recherche une figure absente et porte en lui, du fait de sa fonction à l’Institut médico-légal, le lourd héritage des disparus de la guerre civile. Car on ne le sait pas, mais ce conflit armé récent (1960-1996) a vu le massacre d’un peu plus de 200 000 personnes, dont une majorité d’Indiens. Pour dire la nécessité d’enterrer dignement les morts et de permettre aux familles de faire leur deuil, le réalisateur César Díaz pose un regard réaliste et multiplie les idées de mise en scène. Alors que les morts ne bénéficient pas d’une dernière demeure, le protagoniste se repose peu, toujours alerte, s’éloignant des directives afin de mener à bien son projet personnel : il dort dans sa voiture, ne passe chez lui qu’en coup de vent. Il rend compte des questionnements et de la difficulté de trouver la paix pour une génération obligée de vivre avec ce terrible passé. « Il faut être soit fou soit bourré pour vivre au Guatemala », entend-on au cours d’une discussion… L’iconographie mortuaire est marquante sans être esthétisante (la reconstitution des squelettes), et la scène de procès finale est portée par une forte puissance de témoignage, à l’image de celui de cette femme qui évoquait les tortures qu’elle avait subie sous la dictature chilienne dans le récent documentaire de Nanni Moretti, Santiago, Italia. Nuestras Madres, œuvre de mémoire importante dans la continuité des films sud-américains marqués par les dictatures militaires, a permis au réalisateur de remporter à juste titre la Caméra d’or au Festival de Cannes, qui récompense un premier film toutes compétitions confondues.
Nuestras Madres / De César Díaz / Avec Armando Espitia, Emma Dib, Aurelia Caal / Guatemala – Belgique – France / 1h17 / Sortie le 16 juin 2020 en VOD.
Une réflexion sur « Nuestras Madres »