Rodéo

Au cinéma le 7 septembre 2022

© Les Films du losange

Remarqué cette année à Cannes, le film de Lola Quivoron, Rodéo, apparaît comme un symptôme d’une pathologie globale qui semble ces dernières années avoir atteint plus spécifiquement le cinéma français. 

On pouvait décrire jusqu’à peu les dynamiques cinématographiques mondiales comme suivant un mode de renouvellement classique pour un milieu artistique, bien qu’accéléré (ce qui tient sûrement à la part industrielle du septième art). Il s’agit d’une simplification grossière mais relativement révélatrice. Des courants apparaissaient, portés par des auteurs qui bien souvent se faisaient la voix d’une société changeante, comme se repensant par l’image. Seulement l’image n’est plus reflet, elle est devenue en quelque sorte, et par bien des biais, la réalité elle-même. Un film qui tirait d’une esthétique en vogue son argument de vente, et calquait son propos sur un discours à la fois proche des positions de sa cible sans jamais oser outrepasser l’évidence, se voyait classé au rang de “film d’exploitation”. Quel film ne l’est pas à un certain degré après tout ? Le problème est plus pernicieux, l’exploitation dans ses méandres à fini par devenir norme.

Si l’image est devenue vraie, elle se doit de se dépasser, d’apporter le réel le plus loin possible de sa réalité factuelle. Il faut ainsi perpétuellement se réinventer, s’accrocher au plus fort à chaque trouvailles visuelles, politiques, esthétiques… Bref le courant cinématographique s’en est presque allé pour laisser place à une sorte de syncrétisme entre tentative artistique, projet auteuriste, et placement financier à haute rentabilité, et ce à toute échelle. C’est-à-dire également dans le cinéma d’auteur français, marché exploitable pourtant longtemps mis de côté. Le film d’exploitation y est devenu “film à la mode”, suivant l’esthétique de l’air du temps, agrégeant les problématiques qui y flottent, plantant un décor pour éviter les courants d’air… Si le succès semble se profiler pour Rodéo, c’est que la recette y est. C’est que la somme d’ingrédients nécessaires au savant mélange qui fera du film un objet culturel du moment y a été implanté. De la volonté de son auteur ou non d’ailleurs. Loin de moi l’idée cependant de faire de Rodéo l’origine du mal, ni de lui enlever toute qualité, simplement de repenser ce qu’un film doit à son sujet, ce que son esthétique a à faire avec son époque et son propos.

Comme son nom l’indique, le film de Lola Quivoron porte son dévolu sur le rodéo urbain, sport d’acrobaties mécaniques souvent clandestin qui porte en lui une forte essence cinématographique. Il s’agit ici de mouvements, de machines, de contrôle de soi, de son outil, dans une finalité esthétique. Quoi donc de plus bienvenu pour tenter d’entrer dans la psyché de ces acrobates hors la loi que cet autre médium d’art mécanique qu’est le cinéma. Le problème étant que ce qui intéresse la cinéaste ne semble pas réellement tenir de la compréhension sociologique du milieu qu’elle filme, ni de sa compréhension sensitive d’ailleurs, mais bien le décor en lui-même (Lola Quivoron a pourtant déjà réalisé un court-métrage sur ce même milieu en 2016 à sa sortie de la Fémis, Au loin, Baltimore, ce qui induit une certaine maîtrise et un intérêt particulier pour le sujet traité). Il s’agit finalement davantage de broder un récit purement fictif et ô combien classique, une histoire de braquage, de rivalité de gangs, bien éloignée de l’art de la roue arrière, et qui pourrait d’ailleurs se transposer à n’importe quel autre milieu.

Rodéo coche ainsi toutes les cases d’une production à la mode dans le cinéma d’auteur français : un personnage féminin évoluant dans un univers masculin, d’où une attention toute particulière à la mise en scène des rapports aux corps, une exploration d’un milieu globalement défavorisé, un soupçon de culture hip-hop, une réalisation “guérilla” (caméra épaule, plans brefs, effet documentarisant…), et enfin une suresthétisation très instagramesque (plan tableaux, ajout de grain, attention toute particulières aux costumes très “urbains”…). Le problème n’est pas d’y retrouver ces éléments, il tient à la transparence de la recette. Rien ne surprend, rien ne questionne, rien ne nous immerge, tout est là pour un plaisir facile des yeux et de l’intellect. Loin de la promesse d’une exploration d’un milieu inconnu du grand public hormis pour ses frasques, le cross bitume n’est ici qu’un décor vide, mais très cinégénique, sur lequel se plaque un récit superflu bien éloigné de son essence. La formule se rapproche de celle du monomythe, transposer la même trame à tous les milieux possibles, ce qui résulte à un effet d’artificialité bien éloigné de la promesse documentaire de son sujet et de sa photographie.

Rodéo n’est pas un film de mauvaise facture mais à trop vouloir coller à l’air du temps il en devient presque une coquille esthétique vide, caduc, éphémère…

Rodéo/ De Lola Quivoron/ Avec avec Julie Ledru, Yanis Lafki/ France/ 1h50/ Sortie le 7 septembre 2022.

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