Fremont

Actuellement au cinéma

© JHR Films

Dans Land, Babak Jalali évoquait déjà la situation des indiens d’Amérique ; avec Fremont, il signe le portrait d’une femme Afghane réfugiée, représentante, elle aussi, d’une communauté défavorisée, dévoilant en creux une facette non édulcorée de l’Amérique, en contre-pied total de l’American Dream.

Le quartier de Fremont donne son titre au film, et se situe dans la banlieue de San Francisco. Loin d’adopter les couleurs vives et iconiques de la ville, l’image est contrastée en noir et blanc, neutralisant par là son aspect radieux, collant plus amplement à l’atmosphère de Fremont, comme à l’espace mental de la protagoniste. Ex traductrice pour l’armée américaine, Donya travaille dans une usine à cookies en Californie. Elle est isolée, insomniaque, et se retrouve, un jour, chargée de rédiger les messages porte-bonheur qui accompagnent les petits gâteaux. Elle laisse alors se déverser son imagination, jusqu’à en écrire un spécial, dont elle laisse le destin se charger. 

Le film se développe autour du personnage de Donya, femme puissante, et indépendante, qui dégage pourtant une grande nostalgie. Bien que le format carré entraîne un certain enfermement, Donya n’est pas une victime : elle se révolte par ses actes et ses paroles, sobrement, en ne se laissant pas emprisonner par le cadre protocolaire des rendez-vous médicaux (celui qu’elle attend désespérément afin d’obtenir des pilules pour dormir), ni par la morosité du quotidien, la cadence rythmée du travail à la chaîne, ou la domination patriarcale, et la rancœur que lui voue le mari de son amie. 

Le rythme est quant à lui initié par les échanges réguliers que Donya entretient avec son psychiatre, les discussions avec sa collègue et la rédaction des petits mots qui contiennent en eux la prémonition d’un changement. Les situations, qui tanguent entre absurdité comique et mélancolie, sont soulignées par le cadrage, géométrique, composé dans un nuancier de gris : il témoigne à la fois de la petite musique entêtante de l’habitude mais aussi de la soudaineté de l’imprévu, qui vient se glisser subrepticement sur le chemin de Donya, comme un petit mot, que l’on découvrirait au creux d’un biscuit ; comme le hasard qu’on aurait provoqué.

De Babak Jalali / Avec Anaita Wali Zada, Hilda Schmelling, Avis See-tho/ USA / 1h28 / Sortie le 6 décembre 2023.

Laisser un commentaire