Rencontre avec : Philippe Clair

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©Picasa et Grrr…Art Editions

Né au Maroc en 1930, Philippe Clair est le réalisateur culte des comédies françaises les plus loufoques des années 1970 et 1980. Il a accepté de se confier sur sa vie de cinéma.

Tout d’abord, d’où vient votre goût pour la comédie ?

Pour être honnête, je suis tombé dans la comédie un peu par hasard. J’ai commencé ce métier en étant comédien, et d’ailleurs je jouais des choses assez sérieuses au départ. Mais je voyais bien que je faisais rire mes camarades, surtout avec mon accent. Ce qui ne me déplaisait pas, entre parenthèses. Pour autant, ce n’était pas mon ambition première. J’aimais juste déconner dans la vie, c’est tout. Et puis, un jour, c’est le métier qui choisit pour vous. Je me suis retrouvé à interpréter des pièces comiques. Ça a marché très fort, et tout s’est enchaîné. Le cinéma m’a ouvert ses portes, et j’ai poursuivi sur cette lancée…

C’est d’abord par la musique que vous avez connu un grand succès. Recherchiez-vous une façon d’être irrévérencieux ?

J’ai connu le succès assez vite grâce à un disque, c’est vrai, mais il s’agissait de sketchs. Et j’avais déjà, à ce moment-là, un public qui venait me voir sur scène. En fait, ces deux activités se sont chevauchées, et m’ont porté simultanément. Après, pour vous répondre, je n’ai jamais cherché à être irrévérencieux, ou à choquer qui que ce soit. J’étais un peu gonflé parfois, oui, mais en aucun cas méchant. Je ne me posais pas de question, pour être franc. J’écrivais ce qui me faisait rire. Ensuite, ça passait, ou pas. Rien Nasser de courir et Israël embargo… ment immédiat, notamment, n’ont pas plu à tout le monde. Vu les sujets et les personnalités abordés, ça peut se comprendre. Jusqu’à un certain point, ceci dit… De Gaulle a quand même fait interdire un de mes disques ! Vous vous rendez compte ? On critique beaucoup l’époque actuelle, mais ce n’était pas toujours mieux avant. 

Que pensez-vous de l’expression « nanar » que l’on utilise parfois pour qualifier vos films ?

Je déteste le terme de « nanar ». Aujourd’hui, on l’emploie pour tout et n’importe quoi. Ce n’est pas pour prendre la défense de Claude Zidi, mais même Le grand Bazar est chroniqué sur le site Nanarland. C’est un peu exagéré, non ? Il me semble que dans le genre « nanar », Les Charlots ont fait bien pire… Quant à moi, on me compare à Max Pécas ou Michel Vocoret, deux rois en la matière. C’est très vexant ! On aime ou pas mon cinéma, mais, contrairement à eux, j’ai toujours soigné au détail près le moindre de mes films : je n’ai travaillé qu’avec de très bons comédiens (Annie Girardot, Michel Galabru, Jacques Dufilho, Francis Blanche, Jerry Lewis…), j’ai imaginé des gags de folie, j’ai fait appel à des techniciens de renom, j’ai collaboré avec les plus grands compositeurs (Raymond Lefèvre, Claude Bolling, Armando Trovajoli, Alan Silvestri…)… Et je ne vous parle pas des affiches, qui, elles aussi, avaient de la gueule ! Celles des Réformés et de Rodriguez au pays des merguez, par exemple, sont signées Hervé Morvan… Et, à l’arrivée, j’ai engendré des millions et des millions d’entrées. Ce qui n’était pas le cas de tous… Je ne dis pas ça par prétention. Je trouve juste insultant, pour ma personne comme pour mon public, de limiter mon œuvre à de vulgaires merdes. En 1981, je réalise Tais-toi quand tu parles, avec Aldo Maccione. Résultat : deux millions d’entrées. Un vrai succès. Moins d’un an plus tard, j’enchaîne avec Plus beau que moi meurs : cette fois, ce sont trois millions et demi de spectateurs qui se déplacent. THE triomphe. Entre les deux, quatre autres films interprétés par Aldo sortent en salles : Reste avec nous on s’tire de Michele Massimo, T’es folle ou quoi ? de Michel Gérard, Te marre pas… c’est pour rire de Jacques Besnard, Le Corbillard de Jules de Serge Pénard. Et là, que des bides ! Je vous laisse juge… 

Vos films se construisent autour d’un enchaînement phénoménal de gags. Tout était très préparé ?

Oui, tout était très écrit. Si vous revoyez mes films, vous constaterez qu’il y a beaucoup de gags visuels, et cela demande une réelle préparation. Impossible d’improviser… Alors, bien sûr, il arrivait que certaines situations ou répliques soient peaufinées sur le plateau, mais pas plus. À une exception près : lorsque je tournais Plus beau que moi tu meurs en Tunisie, mon producteur s’apprêtait dans le même temps à faire démonter le décor de Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, un film de Jean Yanne dont il s’occupait également. Je trouvais ça bête de tout détruire et de ne pas exploiter la situation. J’étais peut-être aussi un peu jaloux de voir qu’on ne m’accordait pas les mêmes moyens… J’ai donc réécrit la fin de mon scénario en fonction. C’est ainsi qu’est née cette séquence où Aldo, poursuivi, investit le tournage d’un péplum, avant qu’un des assaillants ne mette le feu au décor par inadvertance. Et je ne regrette pas, car j’y ai gagné en spectaculaire sans que cela ne coûte un rond de plus !

Vos films restent notamment en mémoire pour le travail des acteurs, qui se donnent à cœur joie devant votre caméra. Qui sont celles et ceux avec qui vous avez pris le plus de plaisir à travailler ?

Il y a finalement assez peu de comédiens avec qui j’ai eu du plaisir à travailler. J’en citerais trois : Annie Girardot, qui était une amie et l’est restée jusqu’au bout, Francis Blanche, la gentillesse incarnée, et Jerry Lewis, avec qui j’ai eu des crises de rires mémorables. Sans eux, je n’aurais peut-être pas réalisé seize films. À chaque fois, ils m’ont donné la force de continuer, là où d’autres étaient à deux doigts de me décourager… 

Vous avez contribué à faire d’Aldo Maccione une vedette. Comment est né son personnage, et comment s’est passée votre collaboration ?

Comme je vous le racontais précédemment, j’ai débuté sur scène, et parmi les personnages que j’interprétais, il y avait « Polo la classe ». Une sorte de kéké assez fier, qui marchait en se déhanchant. Je l’ai refait sur le plateau de La grande Maffia, histoire de détendre un peu l’équipe, et Aldo s’en est – très largement – inspiré par la suite. Il a connu un certain succès avec L’Aventure c’est l’aventure, puis La 7ème Compagnie, et, un jour, alors que je préparais Tais-toi quand tu parles, j’ai repensé à lui. Le scénario lui a plu, et nous nous sommes retrouvés avec beaucoup de plaisir. Sur ce tournage, il était encore agréable. Drôle, même ! Puis, lorsque le film est sorti, sa tête a enflé. Pour la première fois, son nom trônait seul en haut de l’affiche, et ça a été un carton au box-office. Lorsque nous avons tourné Plus beau que moi tu meurs peu de temps après, il est devenu soudainement odieux avec tout le monde. Je n’ai pas compris, et ne comprendrais jamais. Un de mes pires souvenirs. 

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Affiches de films de Philippe Clair.

Vos films sont marqués par une certaine fracture entre le succès public et critique. Dans quelle mesure est-ce que cela vous a affecté ?

La fracture entre le public et les critiques n’est pas si grande, même Les Cahiers du cinéma ont dit du bien de Plus beau que moi tu meurs, à l’époque ! Mais certains m’ont assassiné, c’est vrai. J’ai d’ailleurs caché plusieurs papiers à ma femme et à mes enfants, tellement je me suis vu lynché. Toutefois, il me semble que ce sont les « critiques » d’aujourd’hui qui disent le plus de mal de moi, alors que je les soupçonne de n’avoir rien vu, ou si peu, de ma carrière. Laurent Ruquier, par exemple, cite souvent Rodriguez au pays des merguez, et se marre à peine le dernier mot du titre prononcé. Jamais il ne développe sur le sujet. L’a-t-il seulement déjà regardé ? Je n’en suis pas sûr. Rares sont ceux à avoir vu ce film. À l’inverse, ceux qui me soutiennent encore connaissent tout de moi. Ils me sortent des répliques, des gags ou, carrément, des séquences entières que j’ai moi-même oubliées ! Donc, la réelle fracture, elle est là je crois : avec, d’un côté, ceux qui ont vu mes films, puis, de l’autre, ceux qui ne les ont jamais regardés et me critiquent malgré tout.

Malgré le succès public, aviez-vous le sentiment d’être marginal au sein de l’industrie à l’époque de sortie de vos films ?

Oui, car en dépit des mes succès, comme vous dites, je n’étais pas considéré par la profession. On me prenait pour un simple rigolo. Pas plus. Quand je faisais deux ou trois millions d’entrées, on disait que c’était un coup de chance. Sauf que cette « chance » s’est répétée, et ce, quels que soient les noms en haut de l’affiche : Les Charlots, Sim et Jacques Dufilho, Aldo Maccione… Même avec Les Réformés, qui étaient pourtant composés d’illustres inconnus, j’ai cartonné ! Malgré cela, on ne me prenait pas au sérieux… Et puis, j’étais aussi comédien ! Or, je n’ai jamais vraiment croûlé sous les propositions. Moi, je n’étais pas opposé à l’idée de jouer sous la direction d’autres metteurs en scène… Au contraire ! Mais non. On n’est jamais venu me trouver, ou très rarement. Un peu comme si je n’existais pas. 

Votre dernier film, L’Aventure extraordinaire d’un papa peu ordinaire, date de 1989. Pourquoi avez-vous cessé de réaliser des films ?

J’ai arrêté de tourner malgré moi ! J’ai des placards remplis de scenarii. J’aurais pu réaliser un film par an si on m’en avait donné les moyens. Malheureusement, j’ai cumulé plusieurs échecs, et quand cela vous arrive, le métier ne vous fait aucun cadeau. C’est fini pour vous. Et donc, après 1989, tout le monde m’a rejeté. Déjà que je n’étais pas vraiment considéré… Je me suis pourtant battu, mais au bout d’un moment, on lâche l’affaire. J’avais notamment écrit une parodie intitulée… Rabbin des Bois. Nul besoin de vous faire un dessin sur ce que ça racontait ! Je comptais aussi donner une suite à L’Aventure extraordinaire d’un papa peu ordinaire. Évidemment, vu la claque que je me suis prise au box-office avec ce film, le projet n’a pas fait long feu… J’avais aussi imaginé l’histoire d’un guignol qui devenait Président de la République. Ça partait en vrille complet, aussi bien à l’Élysée que dans tout le pays ! Véra Belmont était sur le coup en tant que productrice. Mais elle m’a lâché d’une façon un peu bizarre. Et, depuis, Les Tuche sont passés par là… 

Une pétition a été lancée pour que vos films ne se perdent pas. Pouvez-vous exposer la situation ? Qu’est-ce qui peut être réalisé en faveur de leur conservation ?

D’abord, il faudrait restaurer mes films. Beaucoup ne sont même pas numérisés. Or, cela coûte assez cher. Et certains se posent la question de l’utilité d’une telle entreprise. Selon eux, aujourd’hui, il n’y aurait pas suffisamment d’acheteurs potentiels pour justifier d’une édition DVD… Quant aux chaînes de télévision, je pense qu’elles ne se souviennent même plus de mon existence… Ensuite, mes films sont tous dispersés. Il y en a chez Gaumont, d’autres chez StudioCanal, et je ne vous parle pas de ceux qui sont perdus dans la nature, pour une raison simple : les boîtes qui s’en occupaient ont fait faillite. Bref ! La situation est très compliquée, et je crois qu’il s’agit d’un cas unique dans l’histoire du cinéma. C’en est presque désespérant.

Lequel ou lesquels de vos films préférez-vous ?

C’est difficile de choisir ! J’ai une tendresse particulière pour le dernier, L’Aventure extraordinaire d’un papa peu ordinaire, d’abord parce que mon fils joue dedans, et ensuite parce que le sujet est très personnel. C’est une histoire que j’ai vraiment vécue. Je pense aussi au tout premier, Déclic et des claques. Je n’ai que des souvenirs merveilleux avec Annie Girardot… Un film hélas méconnu, mais drôle et assez différent des autres. D’aucuns le considèrent même comme l’ancêtre de La Vérité si je mens ! Il y a également Par où t’es rentré… On t’a pas vu sortir, je suis tellement fier et heureux d’avoir pu jouer avec Jerry Lewis ! Et le résultat me ressemble : c’est de la déconne pure. Enfin, Le Führer en folie. Quand je pense qu’on m’a laissé faire ça… J’en ris encore !

Propos recueillis par Victorien Daoût le 22 novembre 2019, par mail.

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