Je tremble, ô Matador

Au cinéma le 15 juin 2022

© Outplay

Si Rodrigo Sepúlveda cite Bergman, Orson Welles ou Wong Kar-Wai parmi ses références pour son adaptation de Je tremble, ô Matador (Pedro Lemebel, 2001), ce sont deux autres noms tout aussi prestigieux qui nous viennent à l’esprit devant cette histoire d’un amour impossible entre un vieux chanteur travesti – la Loca del Frente – et un jeune rebelle communiste – Carlos – dans le Chili de Pinochet, en 86.

Celui de Fassbinder d’abord, dont on retrouve les thèmes et les personnages queers ainsi que la tendresse pour les laissés-pour-compte, le goût du spectacle et des effets de distanciation. Mais c’est surtout à Ettore Scola et Une journée particulière que l’on pense inévitablement : même contexte politique de dictature, même rencontre fortuite de deux âmes solitaires et opprimées, (quasi) même resserrement spatio-temporel, même relation clandestine et passagère. Ce qui les distingue en substance, outre les faiblesses d’écritures et de mise en scène de Sepúlveda, c’est la primauté que Je tremble ô Matador accorde aux vertus du spectacle sur les tourments du réel.

Dans sa vitalité inflexible, la Loca incarne cette éthique. À la réalité, elle préfère « la musique, le théâtre, le monde de la nuit » ; en atteste cette séquence où, au lendemain du meurtre de l’une de ses amies par la police chilienne, elle retrouve sa bande autour d’un verre. Une amie est morte. On rit. On chante. Elles font le show pour nous, face caméra, pour célébrer en chœur la puissance du faux. Et si le film semble rater l’entrelacement du politique et de l’intime, c’est bien parce qu’il revendique tacitement son apolitisme comme un parti pris.

Tous les choix de la Loca, tous ses actes séditieux ne sont motivés que par son amour envers Carlos. Sans jamais l’expliciter (et heureusement), le film érige l’acte d’amour en acte politique. Il est le seul qui vaille pour la Loca, celui qu’elle et ses amies accomplissent tous les jours et indéfiniment dans une société hétéronormée, tandis que le combat de Carlos pour la démocratie doit un jour aboutir. Dans le rôle de l’anti-héroïne courageuse et magnifique, Alfredo Castro éblouit par son authenticité. Jamais outrancier, il irradie de sa retenue extravagante une œuvre touchante qui hélas manque, tant sur le plan esthétique que dramatique, de fièvre et de frissons.

Je tremble ô Matador / De Rodrigo Sepúlveda / Avec Alfredo Castro, Leonardo Ortizgris, Julieta Zylberberg / Chili / 1h33 / Sortie le 15 juin 2022.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :