Riddle of Fire

Actuellement au cinéma

© ASC Distribution

Riddle of Fire est une déclaration d’amour couleur pastel, aux pouvoirs de l’imagination, et par là-même, aux puissances du cinéma, filmée à hauteur d’enfant, donc de songes. 

Il y a ce plan d’une cinglante beauté, où une petite fille – la dénommée Petal que l’on ne connaît pas encore – allongée dans l’herbe, regarde le ciel. La caméra réalise un travelling descendant, partant des nuages, pour venir se fixer sur terre, vers cette bouille d’innocence, d’ange, Comme ci quelque chose de l’ordre de l’abstraction venait s’accroupir à notre hauteur, comme si l’image prenait son envol, vers les limbes de la féérie, de l’enchantement, dans un cadre romantique, où la robe blanche s’accorde aux teintes vertes et chatoyantes d’une forêt magique.

Cette image annonce d’emblée le point de vue adopté : celui d’enfants (Alice, Jodie, et Hazel) à l’imagination débordante, qui, pour accéder au code de la télévision et dans le seul but de jouer à leur jeu vidéo préféré, tissent un pacte avec leur mère malade : ils doivent rapporter une tarte à la myrtille, met qui rappelle la demande de la grand-mère au Petit Chaperon-Rouge. 

Le conte débute-là : dans cette requête apparemment simple, qui va devenir le point de fuite de toute une histoire écrite tel un effet papillon : la bande de gamins dévergondés va voler les ingrédients dans un supermarché, mais un « play-boy » aux allures de cow-boy, énigmatique, sadique, va prendre avant eux la dernière boite d’œufs dont ils ont besoin. Se met alors en place toute une épopée, qui respecte les codes du RPG, où les bambins vont faire face à de multiples rebondissements, passant du sauvetage de la demoiselle en détresse, à la grande méchante au projet machiavélique, sorte de sorcière des temps modernes. Paradoxalement, cette plongée dans le surréel les ramène – et cela de façon brillante, à la fin du film – à la réalité, bien moins charmante : on y parle de braconnage, d’un groupe recherché par la police, dont la cheffe, l’effrayante et charismatique Anna-Freya, enchanteresse n’est autre qu’un gourou. La magie est salie par les adultes, l’imagination peut se révéler dangereuse, et possède ses limites.

Le scénario est ainsi fait qu’il débute par un détail (l’œuf qu’il faut aller chercher coûte que coûte) et use de tous les procédés narratifs requis pour déplier cet élément – l’œuf sera mangé, cassé, deviendra le point de tension central, quand bien même il peut paraître dérisoire, anodin. Mais c’est justement ce qui fait le charme du film, tourné en 16 mm, dont le grain de la pellicule vient encore renforcer cette impression d’envoûtement, d’un autre temps, d’un hors-temps pris au temps. L’attrait principal résidait, dans un premier mouvement, dans le fait de jouer à un jeu vidéo, avant que celui-ci se dessine finalement grandeur nature, et vienne pousser les protagonistes à tisser des liens réels, à braver le monde extérieur, dans les limbes d’une aventure rocambolesque, dont les fils sont tirés et tissés au cordeau. Les péripéties tiennent en haleine le spectateur qui s’émerveille de tant d’ingéniosité. 

Demeure cette sensation presque jouissive de voir une histoire aussi bien menée, et l’éblouissement, enfantin, de se laisser porter par cette épopée, saisit par une image douce, rappelant le bonbon qui pique la langue, et que l’on lèche doucement, afin d’en faire passer le gout acide. C’est un délice, une régression, un apprentissage aussi : car poussés par leur mère alitée pour aller jouer dehors, Alice, Hazel et Jodie, bientôt accompagnés de Petal, vont finalement faire bien plus que ce à quoi le dénouement du film les prédestine : jouer à un jeu vidéo. Bien au contraire, ils vont arpenter le monde et sa rugosité, vilipender l’univers des adultes par leur bravoure et leur imagination sans bornes. Et, surtout, créer des liens, uniques, inaltérables, captés dans une séquence de danse mémorable, pleine d’insouciance, où les regards et les mains se tendent et se croisent, sans mots, dans le bourdonnement de la musique, trahissant par là des sentiments nouveaux : l’amitié ou l’amour, quelque chose de fusionnel, de fort, de grand, qui existe seulement dans les méandres de l’enfance joyeuse et rêveuse. 

Riddle of Fire est un bijou, une pierre précieuse à l’état brut. Une merveille qui surgit d’un autre monde, là où le cinéma, dans sa pleine effervescence, est roi.  

Riddle of Fire / De Weston Razooli / Avec Analeigh Tipton, Charles Halford, Weston Razooli / USA / 1h54 / Festival de Cannes 2023 – La Quinzaine des Cinéastes.

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