Dans un monde impie où l’on proscrit le rêve, pour marchander un salut éternel devenu stérile, demeurent encore quelques dissidents : des rêvoleurs qui s’obstinent à s’enfouir dans les songes en faisant du rêve un ultime geste politique, une résistance autant esthétique que vitale.
Qui a dit que d’une petite forme ne pouvait pas naître un très grand film ? En une heure et onze minutes, pas plus, L’Œuf de l’Ange de Mamoru Oshii délivre un concentré de cinéma plus dense et vertigineux que n’importe quelle fresque épique boursoufflée aux affiches bardées de superlatifs. Méconnu du grand public parce qu’éclipsé par son successeur Ghost in the Shell, longtemps invisible dans de bonnes conditions, l’autre grande œuvre du cinéaste japonais atterrit enfin sur nos écrans et rappelle cette vérité élémentaire : les films les plus beaux sont souvent les plus simples.
« On n’est peut-être pas fait pour un seul moi. On a tort de s’y tenir. Préjugé de l’unité. » – Plume, Henri Michaux, 1938
Le panorama est ce qui nous fait voir de haut. Dans un paysage tout peut sembler minuscule ou interchangeable, et seulement quelques silhouettes se distinguent au milieu d’un tapis de similitudes. Le panorama désigne aussi un trompe l’œil : une peinture se faisant passer pour une vitre, mais qui n’est qu’un mur recouvert d’imitations.
Retrouver la bande d’Amin dans Canto Due, c’est d’abord éprouver une étrange sensation de déjà-vu. Le temps, ici, semble s’être suspendu. Sept ans pour nous, quelques jours pour eux : cette disproportion crée un léger vertige. Sous le soleil de Sète, les visages semblent figés dans un été qui refuse de s’achever, comme si les personnages étaient enfermés dans un marivaudage immuable et qui prête au film des allures de série B.
Retour à la cité d’Émeraude : après avoir découvert la supercherie du magicien d’Oz, Elphaba défie la gravité et part se réfugier dans des contrées plus éloignées, à l’Ouest… Alors que le premier opus mettait en avant un message politique certes louable mais aussi éculé, le second se construit autour d’un enjeu narratif plus spécifique : la désinformation. Le propos – naïf mais nécessaire – demeure le même : ne pas se fier aux apparences. Cependant, dans ce volet, son exploitation gagne en densité.
On avait un peu perdu Yórgos Lánthimos depuis quelques temps, assommé par sa débauche de tics formels (Pauvres créatures) et ses mesquineries de vilain marionnettiste (Kinds of Kindness). Bonne nouvelle : s’il n’efface pas complètement les réserves que l’on a vis-à-vis de ses productions récentes, Bugonia est l’occasion pour le cinéaste grec d’une salutaire remise à plat des qualités réelles de son cinéma.
Dans La Diplomate, Deborah Kerr met en scène la vie de Kate Wyler, ambassadrice américaine au Royaume-Uni. Les premières saisons se centraient principalement sur l’adaptabilité de Kate : son passage des États-Unis à Londres (le centre névralgique d’enjeux narratifs et de péripéties géopolitiques se déplaçant évidemment avec elle) et sa campagne discrète pour devenir vice-présidente. Mais la fin de la troisième saison (la mort du président des États-Unis) laissait présager de nouvelles intrigues hautement plus rocambolesques.
Comment fabriquer un héros d’action en 2025 ? C’est la question que pose ce Running Man revisité par Edgar Wright, trente-huit ans après une première adaptation kitsch et musclée par Paul Michael Glaser, quarante-trois ans après l’œuvre originale de Stephen King. Signé Richard Bachman, alias généralement réservé à ses fictions ancrées dans le réel les plus désespérées, le roman paraissait dans un contexte bien particulier : après une décennie 1970 marquée par la désillusion, le peuple américain retrouvait la foi en ses institutions en catapultant une star de cinéma à la Maison Blanche. L’accession à la présidence de Ronald Reagan en 1981 faisait entrer de plein pied les États-Unis dans le règne de l’image : qu’importe le fond, pourvu que la forme soit suffisamment séduisante pour nous rallier à sa cause. Dans cette nouvelle ère, le cinéma se faisait le vecteur de récits triomphalistes fallacieux, menés par des corps masculins sculptés par le bodybuilding et les stéroïdes, eux-mêmes devenus pures surfaces.
A House of Dynamite, nouveau film de Kathryn Bigelow sorti directement sur Netflix, reprend là où Zero Dark Thirty (2012) s’était arrêté ; aux portes d’un monde presque intégralement basculé de « l’autre côté », patiemment fondu et absorbé dans son envers numérique, univers d’informations et d’images. La fin en suspens du magnum opus de Kathryn Bigelow centré sur la traque de Ben Laden – « Où voulez-vous aller ? » adressait-on à Maya (Jessica Chastain), enquêtrice défaite d’avoir enfin trouvé et exécuté sa cible – ouvrait sur un vertige dans lequel s’engouffre ce film-ci. La cinéaste délaisse pour l’occasion la fiction inspirée de faits réels (son sillon de Démineurs à Detroit), imaginant ex nihilo une frappe nucléaire imminente sur le territoire américain et la réponse simultanée des différentes agences gouvernementales, de la situation room au président lui-même. Son objectif pourtant reste le même : se placer, à coups de missiles atomiques s’il le faut, à un point d’incandescence du monde d’aujourd’hui.
Entre Jackie (Pablo Larraín, 2016), Blonde (Andrew Dominik, 2022) ou plus récemment The Bikeriders (Jeff Nichols, 2024), le cinéma américain se plaît à rejouer l’archive. Plus qu’une simple logique de reenactment, ces essais semblent dériver de leur objectif initial de reconstitution (réelles interviews chez Larraín, photos chez Dominik et Nichols) pour venir y broder de la fiction. Il s’agirait dès lors de donner vie aux images mythiques, et surtout de leur attribuer une substance narrative.