
« C’est l’histoire la plus étrange que j’ai écrite à ce jour », notait Henry Miller à propos du Sourire au pied de l’échelle, au moment de sa publication en 1948. À l’origine, ce texte est une commande du peintre Fernand Léger, destinée à illustrer ses dessins de clown. À la croisée du roman, de la poésie et de l’essai philosophique, l’œuvre du romancier américain donne actuellement lieu, pour la première fois au théâtre en France, à un seul en scène prodigieux dans lequel Denis Lavant incarne le clown Auguste.
Sur la scène, une échelle aux barreaux cassés. Impossible de l’emprunter, elle ne mène nulle part. Ce symbole fort annonce l’un des sujets du Sourire : la progression entravée, le doute quant à l’avenir. Au pied de l’échelle, Auguste apparaît. Le fameux clown, qui amuse les foules du monde entier sur les pistes des cirques, ne rit plus. La fureur des acclamations a cédé la place, presque mystérieusement, au silence de la remise en question. Malgré le succès, sa profession le tourmente… Ainsi se met-il à partager son questionnement existentiel, au cours d’un voyage physique et imaginaire. Sa crise mystique s’accentue lorsqu’il remplace un clown, tombé malade. Cet épisode met en avant à quel point le masque de l’acteur donne un vertige identitaire, touchant bien au-delà de la profession de comédien, jusqu’à l’être intime de chacun. Mais le personnage d’Auguste ne se morfond pas, il interroge et avance. Quitte à rester au pied de l’échelle. C’est que, partant d’un constat assez triste, son errance devient une initiation au bonheur. Quel acteur était le mieux placé pour incarner ce clown ? Denis Lavant, c’est l’évidence. Aussi virtuose dans la pantomime que dans le phrasé avec sa voix si particulière (il interprète même plusieurs personnages), l’acteur fétiche de Leos Carax est exceptionnel. Il bouleverse, intrigue et se métamorphose. Sortant de sa poche, de temps à autre, des instruments de musique, il est l’homme qui crée et se réinvente sous nos yeux. Les éclairages favorisent l’expressivité de son jeu, renvoyant à la force naïve et émotive, mélancolique et respirant de tant d’humanité, de certains acteurs du temps du muet. Henry Miller disait de la figure du clown qu’il était « le poète en action », « il est l’histoire qu’il joue ». À la fin de la représentation, on peut en dire autant de Denis Lavant.
Le sourire au pied de l’échelle / Ecrit par Henry Miller, adapté par Ivan Morrane / Mise en scène de Bénédicte Nécaille / Avec Denis Lavant / Du 16 janvier au 17 février 2019 au théâtre de l’Œuvre.