Rencontre avec : Damien Bonnard

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Damien Bonnard lors de la cérémonie des Césars 2019 © Borde-Jacovides / Bestimage

Après des débuts remarqués devant la caméra de Rachid Bouchareb ou de Bertrand Blier, Damien Bonnard est révélé au grand public avec le film Rester vertical d’Alain Guiraudie, qui lui vaut une nomination au César du meilleur espoir en 2016. Nomination renouvelée en 2018, dans la catégorie du meilleur second rôle, pour la comédie En liberté ! de Pierre Salvadori. Avec à son actif une vingtaine de rôles entre autres chez Alice Winocour, Roman Polanski ou encore Anne Fontaine, l’acteur français est actuellement à l’affiche de J’accuse et Les Misérables.

Peux-tu nous parler de ton parcours et de la façon dont tu as découvert le métier d’acteur ? 

C’est un peu long ! Après avoir quitté l’école en troisième, je voulais faire les Beaux-Arts mais il fallait avoir le bac et ce n’était pas mon cas. C’est toujours un peu la bêtise des écoles françaises d’ailleurs. Beaucoup de gens peuvent se découvrir une passion assez tard et c’est regrettable qu’ils ne puissent accéder à la plupart des écoles qu’avec tel diplôme ou à tel âge. J’ai donc suivi une classe préparatoire avant de passer le concours que j’ai réussi avec une dérogation, sans diplôme. J’y suis resté six ans mais en sortant je ne me sentais pas vraiment artiste, et je n’avais pas envie d’être professeur. Je suis donc parti en Belgique assister une peintre qui s’appelait Marthe Wéry et qui faisait partie des peintres minimalistes et abstraits américains. En revenant en France j’ai gardé la maison d’une amie qui avait une filmothèque incroyable. Je me suis mis à regarder des films toute la journée et je me suis rendu compte que ce métier m’attirait. Mais j’avais ce rêve que quelqu’un vienne me trouver dans la rue et me dise : « Vous êtes exactement la personne que je cherche ! » ce qui n’arrivait pas, évidement. A vingt-sept ans, je faisais tout simultanément : j’étais coursier, je faisais de la figuration et je prenais quelques cours de jeu. J’ai d’abord été silhouette puis silhouette parlante et petit rôle dans des courts métrages avant d’avoir mes premiers vrais rôles au cinéma, notamment grâce à Bertrand Blier. 

As-tu l’impression qu’avoir exploré autant de professions différentes t’apporte quelque chose en tant qu’acteur ?

Je ne sais pas si ça m’aide mais c’est peut-être quelque chose qui me différencie des autres acteurs, oui. Ce que j’aime dans ce métier et que j’aimais dans tous les métiers que j’ai fait c’est la découverte d’un monde, de nouveaux fonctionnements et de langages. Être acteur me permet de le faire en moins de temps. Moi qui n’aimait pas l’école française, maintenant je prends plaisir à étudier et essayer de tout savoir sur un certain sujet. Pour chaque rôle je me régale à plonger dans une vie différente et un nouvel univers.

Tu privilégies donc les personnages très différents de toi ? 

Oui, souvent. Jouer ce que je suis dans la vie ne m’intéresse pas vraiment. Je trouve que cette notion de prendre les gens tels qu’ils sont est très propre au cinéma français. C’est comme s’il y avait un manque d’imagination du coté des scénaristes et des réalisateurs. Pour ma part, je m’amuse à changer, même physiquement, et aller vers des personnages différents. Souvent on te propose de jouer ce que tu es ou ce que tu as déjà joué, dans les deux cas ce n’est pas très excitant. Du coup, j’essaye de brouiller les pistes et d’aller à d’autres endroits car c’est là qu’il y a vraiment un travail à faire. C’est presque un jeu de gosse, ce plaisir de se déguiser, de rentrer dans la peau de quelqu’un d’autre. 

Comment, lors de ta lecture d’un scénario, réalises-tu qu’un personnage te correspond ? Je pense par exemple à ton premier grand rôle au cinéma dans Rester vertical de Guiraudie.

C’est drôle parce que j’avais découvert le cinéma de Guiraudie quelque temps avant en voyant Le roi de l’évasion et je m’étais dit qu’il était complètement fou ! Pourtant ce qui m’avait touché était sa manière de filmer des cauchemars comme des choses réelles et inversement. Je lui avais donc écrit une lettre en lui faisant part de mon envie de travailler avec lui. Je crois qu’au début de la lettre j’avais même précisé que je pouvais jouer un « un buisson qui parle », tout me convenait ! Il s’avère qu’il n’a jamais reçu cette lettre mais que le directeur de casting de Rester vertical lui avait parlé de moi. Faire ce film était un peu comme le baptême de tous les baptêmes. C’était des choses que je n’avais jamais faites ni au cinéma ni dans la vie. Parfois un scénario arrive à des périodes de ta vie où il te parle. À ce moment, j’étais un peu en errance comme le personnage de Léo, en quête de quelque chose. Pour me préparer je suis allé à la campagne et j’ai recopié le scénario à la main trente ou quarante fois, je ne savais pas encore comment apprendre un texte. Quand je me suis retrouvé sur le tournage, j’avais complètement oublié toutes les scènes d’amour un peu loufoques avec des hommes ou des femmes. Je me rends compte que ça m’arrive assez souvent en fait. J’ai fait un film récemment dans lequel mon personnage se suicide et le jour du tournage de cette scène je n’avais aucune idée de ce dont il était question. Pourtant c’était bien marqué dans le scénario que j’avais lu plus d’une dizaine de fois mais j’avais complètement occulté cette séquence, c’est très bizarre !

Pour Les Misérables en revanche, tu es arrivé très tôt sur le projet ?

J’avais déjà fait deux films avec Alexis Manenti [acteur et scénariste des Misérables, ndlr] et on s’était lié d’amitié. Il a écrit le court métrage original avec Ladj Ly [le réalisateur du film] et lui a parlé de moi pour le rôle de Stéphane. On a fait le court il y a maintenant deux ans sans savoir qu’on allait en faire un long métrage. Pour ce projet ils auraient pu imaginer le film avec des acteurs plus connus, cela aurait permis au film d’être réalisé plus facilement mais Ladj voulait rester fidèle à ce qu’on avait fait. Pour cette raison, ils ont été moins soutenu financièrement. De mon côté, c’était super de pouvoir continuer à travailler avec cette même équipe du court au long. 

Pourquoi ce film est-il différent des autres œuvres sur le même sujet ? 

Ce qui m’a beaucoup touché, c’est le rapport aux enfants. L’histoire que j’avais envie de raconter est celle d’enfants qui n’ont aucun moyen de s’évader et qui se retrouvent pris dans la merde des adultes. Des enfants qui n’ont pas d’horizon, ça devient des adultes qui n’en ont pas. Esthétiquement, le film est une sorte de conte moderne. Ce n’est pas une mise en scène plombante pour parler de choses un peu dures. Il y a beaucoup de couleurs et un montage très doux, comme quelque chose qui se répand petit à petit. Je trouve ça très beau.

Pourquoi le film a t-il été pré-sélectionné pour représenter la France aux Oscars selon toi ? 

J’imagine que c’est en partie dû aux échos que le film a avec la société d’aujourd’hui. Il raconte la détresse que plein de gens vivent partout dans le monde. À Los Angeles par exemple, il a été extrêmement bien reçu alors que les émeutes qui y ont eu lieu en 1992 étaient beaucoup plus violentes que celles décrites dans Les Misérables. Notre société met tout en place pour qu’on ne pense qu’à nous et ne regarde pas les autres, ce qui n’est pas forcement la solution. Ça me fait aussi penser à Joker que j’ai vu il n’y a pas longtemps. Le fond du film c’est que des gens malades psychologiquement sont abandonnés et c’est aussi le cas en France, les établissement psychiatriques ne se voient plus accorder aucune ressource financière. Les gens se retrouvent largués alors qu’ils vont mal.

Pourtant, tu affirmes que Les Misérables est un film optimiste ? 

Complètement oui ! Le film parle de la nécessité de tendre vers un espoir. L’importance n’est pas de le faire mais d’y aspirer. Le film en est la preuve, Ladj est né dans ces quartiers, il y vit, il y a fait son film et maintenant il est sélectionné à Cannes et pré-sélectionné aux Oscars. Le film ne dit certainement pas que la solution est dans une révolte violente, c’est pour ça qu’il y a cette fin ouverte. Il propose l’idée qu’en changeant notre regard sur les gens on arrêtera de les limiter à ce qu’on pense qu’ils sont.

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Alexis Manenti, Ladj Ly, Djibril Zonga et Damien Bonnard au 72e festival de Cannes

C’est important pour toi d’alterner les films indépendants comme celui-ci et des productions plus grosses ? 

Oui mais en réalité ce n’est pas vraiment un choix de fond. Je ne me dis pas « là il faudrait que je fasse un film fauché », c’est en fonction des projets qui arrivent, des scénarios, des personnages et des équipes. J’essaye surtout de continuer à faire trois ou quatre courts métrages par an, c’est un excellent moyen de travailler avec des gens que je ne connais pas encore et des cinéastes de la nouvelle génération.

Est-ce qu’il y a des réalisateurs avec lesquels tu aimerais particulièrement travailler ? 

Il y en a beaucoup ! Les frères Coen, Cronenberg, Villeneuve… Le tournage avec Polanski était aussi très intéressant. Il sait tout et connait absolument tous les postes, c’est très impressionnant. Même avec un tournage très préparé, il crée encore sur le moment. Comme Pierre Salvadori peut également le faire, il arrive à trouver de la liberté dans la contrainte d’un tournage.

La réalisation, c’est un métier qui t’attire aussi ? 

Oui beaucoup, même si je serais peut-être très mauvais ! Le cinéma est vraiment un tout pour moi : la réalisation, les acteurs, la musique, le générique, même l’affiche. Aujourd’hui les affiches sont uniquement constituées de messages promotionnels. C’est une date de sortie, le nom du réalisateur en petit, celui du scénariste encore plus petit et les acteurs en gros, ça m’énerve et pourtant je suis acteur ! Je comprends que c’est un outil de distribution mais l’affiche fait quand même partie du film. J’aime beaucoup celles de Yórgos Lánthimos par exemple, elles ont du sens. J’ai envie de m’essayer à d’autres choses que le jeu tout en restant le plus libre possible. Je veux raconter des histoires importantes et pas seulement faire un film de plus. 

Propos recueillis par Chloé Caye le 4 novembre 2019, à Paris.

Les Misérables est actuellement en salle.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 31 rue Claude Bernard, 75005 Paris ; 0630953176

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