Une Nuit

Au cinéma le 5 juillet 2023

© Marie-Camille Orlando

Malgré le discret coup d’éclat que fut Guy, lequel a fait soudainement d’Alex Lutz un cinéaste à prendre au sérieux, c’est prudemment que l’on aborde Une Nuit, avec l’intuition qu’elle risque d’être longue. Il faut dire qu’on le sent venir, le Before Sunrise (Richard Linklater, 1995) version quinquas, un peu vulgaire et bovaryste, au romantisme sirupeux. Certains retours cannois en propageaient la saveur, tout comme la bande-annonce. Quelques vents que le film, et c’est heureux, dissipe. En grande partie.

Ça débute comme un roman Harlequin, qu’un cinéaste toutefois pas manchot tâcherait d’adapter. Dans une station de métro, la caméra filme tour à tour certains passants puis parmi eux deux inconnus, ordinaires, repliés dans le flux de leurs pensées, qui se heurtent, se rencontrent et s’ébattent, dans un photomaton. L’escapade peut alors commencer, celle qu’offre la nuit, territoire de liberté, propice à la transgression et à l’imaginaire. On suit cette errance nocturne toujours dans le courant de leurs conversations qui hélas ne tardent pas à réchauffer quelques truismes sur le couple, le désir, ou encore les divergences entre les sexes. Par ces lourdeurs d’écriture et de tons, que certaines emphases musicales ont l’extrême bon goût de soutenir davantage, l’eau de rose s’exhale, au risque d’imbiber d’ennui toute la nuit.

Mais sous la parole se joue une dramaturgie en double-fond qui ne se dévoilera entièrement qu’à la fin, sauvant le film, malgré la roublardise du procédé, de l’effroyable cliché, au profit d’un récit original de la théâtralité, moins Harlequin que marivaudien. Dans ce film au second degré, où l’on pointe les stéréotypes, notamment quand les personnages raillent leurs propres formules (« les cousins du bonheur », « les bleus invisibles ») qui évoquent de mauvais romans de gare, les citations ne servent jamais d’ornement mais viennent plutôt signifier la matrice du drame. Le Jeu de l’amour et du hasard nous donne ainsi la clef : dans Une Nuit, comme chez l’auteur de La Dispute, tout est jeu.

Si l’œuvre de Marivaux explore le travestissement, les vertus du faux, des masques et de la comédie, en tant qu’ils sont des détours par lesquels se dévoile paradoxalement la vérité des êtres, le film d’Alex Lutz ne narre pas autre chose. Là aussi les personnages, par un acte créatif, le dialogue, mais aussi le travestissement physique – les deux amants au sortir d’une fête échangent leurs vêtements contre ceux d’étudiants –, se découvrent dans des reliefs insoupçonnés. Cela dans l’espace-temps de la nuit, que Lutz investit romantiquement comme unique lieu de la révélation.

Cette matière intertextuelle, comprise et digérée par l’acteur-réalisateur, conjointe aux thèmes qu’il paraît faire siens au moins depuis Guy, tels que les puissances du faux, l’emprise du temps et le vieillissement, attestent de l’intelligence sensible et narrative d’un cinéaste creusant peu à peu son sillon d’auteur. Une œuvre qui l’air de rien s’esquisse, cohérente, ludique et mélancolique. Car à l’instar de son deuxième long métrage, la temporalité d’Une Nuit se conjugue au passé. Un passé que l’on s’échine éperdument à réitérer. Et si, à en croire Gilles Deleuze, « il n’y a pas d’image au présent, sauf dans les mauvais films » (Cinéma 2. L’Image-temps, 1985), alors Une Nuit mérite, par-delà ses relents mélo, que l’on s’y fonde.

Une Nuit / De Alex Lutz / Avec Alex Lutz, Karine Viard / France / 1h30 / Sortie le 5 juillet 2023.

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