La Bête

Actuellement au cinéma

© Carol Bethuel

« C’est l’histoire d’un personnage qui ne veut pas s’engager dans une relation amoureuse car il a peur, jusqu’au moment où il réalise que ce dont il a peur est l’amour en soi ». Une formule évidente qui résume pourtant bien la complexité de l’œuvre de Henry James. Une œuvre dont Bertrand Bonello parle manifestement mieux qu’il ne l’adapte, puisque dans sa Bête, on ne trouve, sous une apparente complexité, rien de flagrant.

Dans La Bête dans la Jungle, Henry James dissèque la peur de son personnage pour quelque chose d’inconnu. L’abstraction que représente le motif de la bête réside dans le fait qu’elle n’est jamais nommée, jamais définie : elle existe comme une sorte de hors-champ textuel. Les premières minutes du film de Bertrand Bonello transposent l’idée au médium cinématographique : devant un écran vert, l’actrice doit éprouver de la peur pour quelque chose qu’elle ne voit pas. La défiance d’un personnage pour un mot pouvait devenir la méfiance vis à vis de l’image. Mais Bonello délaisse rapidement ces interrogations propres aux échanges entre écrivain et réalisateur quant à la représentation d’un concept, au profit d’un mélodrame futuriste. De 1910 jusqu’à 2044, Gabrielle et Louis se ratent sans cesse, ils ne parviennent pas à s’aimer. Or dans La Bête, il n’est finalement pas tant question de pourquoi ou de comment que de tout le reste.

Crues de la Seine et cures pour oublier les sentiments vécus, boîtes de nuit, manufactures de poupées, musique classique, publicités américaines, incels et baby-sitters… Bertrand Bonello se perd – et nous avec – non seulement dans ses lieux et ses époques mais aussi dans ses thématiques qui, censées nourrir une intrigue de base, finissent par la rendre complètement indiscernable.

Malgré l’intérêt manifeste de certaines séquences – des plans aériens d’un Paris submergé par les flots – là où Bonello excelle demeure sa mise en scène d’une certaine forme de sensualité à la fois limpide et trouble : deux corps entrelacés dont on distingue différentes nuances de blanc des peaux et les différentes nuances de bleu de leurs jeans ; douceur des corps et rugosité des habits. C’est dans cette esthétique crue et cruelle du désir que le réalisateur touche à quelque chose de tangible et de sensible ; à quelque chose de primitif dont la réception nous appartient autant qu’à lui. Mais dès lors qu’il cherche un ascendant intellectuel sur son spectateur, Bertrand Bonello s’en éloigne trop et le laisse derrière. En voulant créer une distance théorique avec son sujet, le réalisateur finit par lui passer complètement à coté. En ajoutant sans répit des strates de questionnements, il perd de vue ce qu’il questionne.

Il y a dans La Bête quelque chose de l’ordre de la posture intellectuelle : le film tend (prétend, surtout) constamment à des réflexions philosophiques, politiques, sociales, psychologiques ou mystiques éparpillées. Mais en répétant à tout va qu’on sait comment penser, on en oublie parfois de le faire. 

De Bertrand Bonello / Avec Léa Seydoux, George MacKay / France / 2h36 / Festival international du film de La Roche-sur-Yon 2023 / Sortie le 7 février 2024.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 0630953176

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