Knit’s Island, L’Île sans fin

Actuellement au cinéma

© Norte Distribution

Sur Internet, il existe un espace dans lequel des joueurs s’affrontent pour leur survie. Au cœur d’une nature foisonnante, les utilisateurs du monde entier se regroupent en factions, sous la houlette du plus fort. Qui sont ces chefs auto-proclamés et ceux qui, sans connaître leur identité réelle, obéissent à leurs ordres ? Quels sont les secrets de ce lieu en 3D et les règles pour réussir à y subsister ? Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h décident de réaliser un documentaire sur cet îlot virtuel. Pour cela, ils choisissent trois avatars et partent explorer cet univers connecté. 

Knit’s Island possède une gestion cinématographique de l’image virtuel. Les échelles de plans et leur succession se font selon un rythme intrinsèquement filmique. Ce que Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h nous proposent est bel et bien une œuvre de cinéma, seulement aux pixels de jeu vidéo. La structure du documentaire est elle aussi appliquée soigneusement : les décors sont ceux de ce monde immatériel et les sujets sont les joueurs. Les avatars des cinéastes transposent leurs rôles dans le jeu : l’un est cadreur, l’autre technicien et le dernier l’interlocuteur des utilisateurs. Knit’s Island alterne séquences d’exposition d’un lieu ou d’un groupe avant de se focaliser sur un de ses membres, via un entretien. 

Dans un premier temps, le documentaire sur le jeu vidéo reprend donc savamment les codes cinématographiques pour les apposer à un type d’image d’une plastique différente. Mais si les cinéastes parviennent à adapter au virtuel l’essence du cadrage et du montage filmique, ils évitent avec justesse d’en reproduire les limites. Le film puise dans le cinéma pour déverser à l’infini dans le jeu vidéo. Et il est, dans Knit’s Island, bien question d’infini. Car ce que le documentaire de cinéma a de fini sont généralement ses décors et ses sujets. Or ici, les décors sont constamment changeants, ils se déconstruisent et se reconstruisent sous nos yeux. De la cime des arbres des forêts aux grottes profondes en passant par des passages secrets, l’univers immatériel est sans limite, comme un long tunnel animé et digital. Les variations soudaines dans ses composantes permettent à la caméra de capter des phénomènes naturels virtuels déliés de toute réalité. Quant aux sujets, eux-aussi sont plus nombreux que d’ordinaire : il y a l’avatar mais aussi le joueur, dont la voix nous parvient. Lors des séquences d’interviews, nous sommes donc confrontés à un interlocuteur double, trouble. Celui que nous voyons : avatar choisi et fantasmé, parfois très éloigné de la réalité physique de celui qui l’incarne. Et la voix de l’utilisateur, elle aussi changeante : soit dans son rôle, soit dans la réalité. Car il y a aussi les sons autour de l’ordinateur, chez les joueurs, que le micro capte. La commandante d’un cartel peut ainsi se transformer subitement en mère de deux enfants. Ou un reverend-cowboy chantonner l’air du morceau préféré de sa fille.

Il y a quelque chose de complètement vertigineux dans Knit’s Island, dont on ne peut que se délecter. Néanmoins, le film ne se contente pas d’enchainer les situations violentes et les entretiens lunaires mais s’attache surtout à rapporter la parole des joueurs et l’aspect sensible d’un lieu, sans jugement et avec poésie. Un documentaire fascinant sur le jeu vidéo et un extraordinaire film dans un jeu vidéo.

Knit’s Island, L’Île sans fin / De Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h / France / 1h35 / Sortie le 17 avril 2024.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 0630953176

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