Excursion

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© JHR Films

Dans son premier long-métrage, Una Gunjak s’interroge sur la condition qui est la sienne : la féminité dans tout ce qu’elle comporte d’interdits, de tabous, de jugements, en prenant pour appui le regard d’une adolescente, Iman, qui s’inscrit dans la jeunesse contemporaine de la société bosniaque. La cinéaste signe un film sensible aux couleurs électriques, qui viennent traduire la fébrilité ressentie par sa protagoniste, découvrant les contradictions, les peurs, les doutes, inhérents à l’adolescence, période de questionnement identitaire qui induit surtout un fort rapport à la réputation. 

« On ne naît pas femme, on le devient », affirmait Simone de Beauvoir. C’est bien le sujet qui semble irriguer l’intrigue, et qui pose les questions suivantes : que signifie devenir une femme ? Que cela implique-t-il dans un monde vacillant entre traditions et modernité ? Excursion tire un fil ténu et toujours présent en filigrane, entre vie intime et enjeux politiques – le premier s’accordant à l’autre : le titre est d’ailleurs issu de ce parallèle. Dans la classe d’Iman, les professeurs convoquent les parents régulièrement dans le but de mettre en place un voyage scolaire. On discute de la destination et du prix, sujets de conflits, mais ce qui pose réellement problème relève du fait divers. Un scandale a secoué la Bosnie Herzégovine : un groupe de sept jeunes filles de treize ans seraient tombées enceinte en même temps à la suite d’une excursion scolaire. Du côté du groupe d’adolescents dont Iman fait partie, on cherche à comprendre, on en rigole, on se moque, on juge, parfois ; dans la salle d’à côté, les parents s’en alarment, s’inquiètent d’une possible répétition des faits, s’indignent et demeurent incrédules. Le film choisit de renverser le paradigme ; on ne part plus du point de vue de la société, du groupe, sur un événement, mais du regard personnel d’Iman, qui vient refléter et se faire l’écho des normes et des attendus sociétaux. Il y a un basculement narratif, où le spectateur est amené à saisir les raisons qui conduisent Iman a inventer un mensonge. 

Lors d’un jeu d’action ou vérité avec ses camarades, Iman soutient le fait qu’elle a couché avec un garçon dont elle est amoureuse. Elle s’enfonce dans l’affabulation jusqu’à affirmer qu’elle est tombée enceinte du jeune homme. Ses dires l’entrainent dans l’extraordinaire d’une réalité fantasmée, car Iman est comme toutes les autres. Elle découvre le désir, et par ses fausses paroles, le fait d’être désirée en retour. Ce qui se cache derrière cette identité créée de toutes pièces réside dans le positionnement vis-à-vis de son environnement social : en prétendant être objet du désir d’un autre, elle trouve sa place au sein de son groupe d’amis, de son lycée, et canalise sa propre féminité. Elle obtient un sentiment d’accomplissement et de validation de la part de ses pairs. Iman représente alors à elle seule toute l’ambivalence de l’adolescence. Elle agit à la fois comme une adulte, réfléchit, mais aussi comme une enfant, dans la naïveté et l’insouciance dont elle fait preuve. La division se lit encore chez elle, lorsque l’affaire de sa sexualité n’en vient plus seulement à concerner l’intimité d’Iman, mais s’étend au cercle familial.

C’est donc un propos à connotation fortement politique, engagé, que nous livre Una Gunjak, qui, loin d’appréhender Iman en victime, fait de sa protagoniste un une jeune femme dotée d’un pouvoir. Iman ne nie jamais ce que l’on dit d’elle, contrôle et assume sa situation, tout en en endossant les responsabilités. Elle comprend finalement qu’elle a le choix mais que, comme le souligne la réalisatrice, tous les choix ne sont pas synonymes de sororité, ou de féminisme.

Excursion / De Una Gunjak / Avec Asja Zara Lagumdzija, Mediha Musliovic, Maja Izetbegovic / Bosnie-Herzégovine, Croatie, Norvège, Serbie / 1h33 / Sortie le 12 juin 2024.

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