
« Leila, dis-nous, pourquoi est-ce si dur l’amour ? » À l’ombre des figuiers d’un verger tunisien, des ouvrières agricoles se reposent autour du thé, et les plus jeunes interrogent l’une de leurs aînées. En guise de réponse, la concernée chante, puis s’interrompt un instant, émue aux larmes. Plus tard, à la fin de la journée, les jeunes filles en fleurs entonneront un autre chant. La plainte mélancolique de Leila sera alors remplacée par l’air joyeux que chantent Melek, Fidé, Sana et Mariem, maquillées, les cheveux au vent, à bord du camion qui les ramène du verger.
« Qu’en un lieu, en un jour un seul fait accompli tienne le théâtre rempli. » Boileau synthétisait par cette formule le principe d’unité qui caractérisait le théâtre classique. Se déroulant à huis clos dans un verger, le temps d’une journée durant laquelle ouvrières et ouvriers récoltent des figues pour un patron de mauvaise foi, Sous les figues semble à première vue respecter cette règle. Toutefois, l’apparent classicisme de la narration s’évanouit vite à l’ombre des figuiers, où l’on découvre les relations complexes qui lient les jeunes ouvriers agricoles entre eux. Au travers de leurs interactions, les comédiens non professionnels (par ailleurs brillamment choisis et dirigés) font apparaître les désirs et contradictions de leurs personnages.
Pour son premier long métrage de fiction, Erige Sehiri réalise un film de paroles et de gestes. C’est dans leur entrelacement que s’expriment les sentiments des personnages lorsque Sana invite Firas à venir s’asseoir à côté d’elle pour lui donner à manger ou quand Abdu aide Melek à descendre d’un figuier. Pour filmer les échanges, Erige Sehiri systématise les gros plans sur les visages et adopte une faible profondeur de champ qui ne laisse voir en fond que le feuillage verdoyant des figuiers. En isolant ainsi ses personnages, elle parvient à en esquisser des portraits à la fois fins et complexes.
Si la récolte semble parfois au second plan, elle ne constitue pas pour autant une simple toile de fond à l’expression des sentiments. L’attention que porte Erige Sehiri aux gestes des travailleurs confère une dimension documentaire à certaines séquences, et intègre un implicite état des lieux de la société tunisienne que tissent également les dialogues. L’œil documentariste de la cinéaste transparaît dans la manière dont elle filme les gestes des ouvriers agricoles : ramasser un panier, grimper à un arbre, cueillir une figue, tirer une branche délicatement, sans la casser…
Erige Sehiri fait du verger l’écrin précieux des conversations et sous-conversations des jeunes gens qu’elle filme. Le feuillage dense et omniprésent des figuiers devient le garant de leurs secrets et de leurs confidences. Sous les figues reprend ainsi à son compte une caractéristique du mouvement romantique : pour s’exprimer, le sentiment ne trouve pas de meilleur théâtre que la nature. Il se déploie ici avec justesse et subtilité à l’abri des figuiers.
Sous les figues / De Erige Sehiri / Avec Ameni Fdhili, Fide Fdhili, Feten Fdhili / Tunisie / 1h32 / Sortie le 7 décembre.