Comme le feu

Champs-Elysées Film Festival 2024

© Shellac

Albert, ses deux enfants et un ami de son fils se rendent dans le grand nord canadien. Les trois adolescents, Max, Aliocha et Jeff y retrouvent Blake, ancien ami et collaborateur de leur père. Dans cette demeure isolée, les rencontres adolescentes se heurtent aux retrouvailles adultes, cyniques et cruelles.

Philippe Lesage isole ses personnages dans la nature et dans le cadre ou, au contraire, les fait se rencontrer, voire se marcher dessus, dans un petit espace. Il montre la proximité physique décomplexée de Blake et Albert qui s’oppose radicalement aux tentatives maladroites de Jeff de se rapprocher d’Aliocha, la grande sœur de son ami. Mais la maladresse évoque la pureté de l’entreprise. Dans le geste enfantin (une main qu’on rapproche discrètement du genou de l’autre), l’ambition est lisible, directe, presque naïve. Tandis que la proximité physique de Blake et Albert traduit constamment une ambiguïté : jouent-ils ou luttent-ils ? 

Le cinéaste étire les rapports – physiques ou verbaux – jusqu’à leur point de rupture et au delà. Avec des plans-séquences fixes, il capte le moment de bascule : quand les rancœurs reprennent les rênes. Sa caméra est imperturbable : le froid des montagnes, la solitude des bois, la noirceur de la nuit ; rien ne l’effraie. Elle reste, stoïque, pour capturer les moindres frémissements de honte, les regards en coin, les sourires gênés. 

Philippe Lesage filme l’hypocrisie : les non-dits et ce qu’on entend à la dérobée. L’antagonisme entre les enfants et les adultes lui permet de mettre en scène le passage de l’un à l’autre. Aliocha est attirée par le monde des grands et ceux qui le peuplent. Elle délaisse l’insouciance au profit de jeux plus malsains et plus excitants. Mais cette perte de l’insouciance se caractérise surtout par la perte de la vulnérabilité assumée : comme son père et Blake, elle se renferme sur elle-même. Elle garde ses maux et fait grandir son ressentiment. À l’inverse, Max, énonce à Jeff ses déceptions et Jeff laisse couler ses larmes. Les adolescents savent se montrer blessés alors que les adultes montrent les crocs. 

Si Lesage pose bien sûr la question de savoir quel comportement est le plus mature, le projet de son film n’a rien de manichéen, les personnages se surprennent et nous surprennent sans cesse. Rien n’est simple et tout est trouble. Les excellents Arieh Worthalter et Paul Ahmarani s’affrontent dans des joutes verbales jouissives. Ils se tournent autour, s’apprivoisent et se chassent.

Le cinéaste offre effectivement un exutoire aux rivalités de ses personnages : la nature est un écrin où suivre leur instinct. Dehors, ils doivent compter les uns sur les autres pour survivre mais ils peuvent aussi disparaitre ou faire disparaitre sans laisser de traces… L’autre exutoire, inter-génerationnel comme la nature, c’est la musique. Et sur Rock Lobster, petits et grands font à nouveau partie d’un tout, dansant. 

Mais Comme le feu impose un autre rythme : long et sinueux. Quasi-sensoriel, le film de Philippe Lesage distille l’inquiétude et la gêne au fil des scènes pour faire finalement advenir un vertige assez terrassant.

Comme le feu / De Philippe Lesage / Avec Arieh Worthalter, Paul Ahmarani, Aurélia Arandi Longpré, Noah Parker et Irene Jacob / 2h41 / France, Canada / Champs-Elysées Film Festival 2024 – Sortie le 31 juillet 2024.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 0630953176

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