
A l’occasion de la 9e édition du festival Un état du monde, le Forum des images rendait un hommage au cinéaste chilien Pablo Larraín. Même si pour lui le cinéma s’apprend et ne s’enseigne pas, il s’est confié au cours d’une masterclass sur son parcours, sa vision du cinéma et de la politique de son pays natal.
Les premiers films sont souvent les plus autobiographiques. A 29 ans, deux ans après avoir fondé avec son frère sa propre société de production Fabula, Pablo Larraín tourne Fuga, qui apparaît comme l’histoire du musicien qu’il rêvait d’être. « C’est un peu moi qui joue, la musique c’est ce qui me motive » confie celui qui conçoit la structure d’un scénario comme une symphonie. « Je voulais faire un film sur tout, la musique, l’amour, la folie, le désir ». Le désir. Chez lui, « tout est question de désir ». « Il faut qu’il y ait une sensualité dans le rapport entre le chef opérateur, le cadreur et les acteurs, sinon il y a un malaise qui se voit ». Pour capturer l’instant, « les acteurs doivent absorber la caméra et vivre avec ». En termes techniques, sa conception organique du cinéma se traduit par l’usage de la focale courte qui fragilise l’acteur, et réduit la distance avec le public.
Malgré l’échec commercial de son premier coup d’essai, le cinéaste a persévéré. Le point de départ de son deuxième film, Tony Manero, ne sera pas musical mais visuel : la photo d’un serial killer américain armé trouvée dans un livre, sur laquelle il voyait un danseur ! Toujours habité par un désir de rythme et de chorégraphie, il signe le premier long-métrage d’une trilogie politique consacrée aux années Pinochet. Le visage qu’il montre du Chili des années 1970-80 est très sombre à travers cette métaphore de l’impunité, dans laquelle le personnage principal est « le résultat d’une politique qui le déconnecte du monde ». « Il faut que j’aime tous mes personnages. Créer de l’empathie pour quelqu’un de monstrueux nous ramène à nous-même, nous dérange », déclare-t-il, « l’art crée des contradictions morales qu’il fait vivre au public ».
Les deux autres films qui prolongent son autopsie des années de dictature politique au Chili sont Santiago 73, post-mortem (2010) et No (2012). Pour Pablo Larraín, un film est un acte politique. Le premier se base sur la mort de Salvador Allende en 1973, filmé dans le lieu même où son corps fut examiné par les médecins légistes. Les circonstances de son décès demeurent floues, même si l’hypothèse du suicide semble l’emporter sur celle de l’assassinat. « Les personnages croient qu’ils ne sont pas affectés par la politique mais ils le sont. Si on ne s’intéresse pas à la politique, on nous manipule ». Le second, nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, raconte la campagne publicitaire menée par les opposants au régime de Pinochet avant le référendum de 1988, un vote « No » empêchant le général de conserver le pouvoir. Cette satire fut notamment critiquée lors de sa sortie au Chili pour ne pas assez appuyer sur les atrocités commises par le dictateur : « le film n’est pas un avertissement, je ne donne pas de leçon. Je n’enseigne pas la politique » déclare Pablo Larraín. Un acte politique, mais pas une leçon. En 2016, le film fut interdit en Turquie…
« Je traite mes sujets de manière oblique », avance le cinéaste, soucieux de trouver le bon angle pour aborder les thèmes qui lui tiennent à cœur. C’est ainsi qu’El Club, en 2015, narre l’histoire d’un prêtre pédophile très connu au Chili par le prisme de la villa suisse dans laquelle il s’est réfugié. Et même en réalisant deux films à la forme apparemment conventionnelle, Jackie avec Natalie Portman et Neruda avec Gael Garcia Bernal, il livre des fresques oniriques, historiques et intimes, parvenant à se réinventer et à toujours enrichir son discours.
Retrouvez les films de Pablo Larraín à l’occasion du programme Un état du monde, du 17 au 26 novembre 2017 au Forum des images.