Rencontre avec : Henri Guybet

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Le comédien Henri Guybet ©Le Pays d’Auge/JeanMichelG

  « Si je devais retenir quelques films parmi ceux que j’ai fait ? Ils sont tous à garder parce qu’ils m’ont tous apporté quelque chose. Par contre, il y en a un que je n’ai jamais fait et que j’aimerais essayer, une fois peut-être, pour voir ce que ça fait… Un rôle très bien payé ! » C’est avec humour et bienveillance qu’Henri Guybet se prête au jeu de l’interview et jette un regard rétrospectif sur sa vie d’acteur. Rieur et joyeux, à 82 ans, le comédien est encore très actif : ce soir, il monte sur la scène du théâtre Daunou à Paris, après une longue tournée en province, pour interpréter une pièce écrite et mise en scène par ses soins, Un drôle de mariage pour tous, qui raconte l’histoire de deux amis qui décident de se marier, à la perplexité de leur entourage. Nous le rencontrons avant que ne soient frappés les trois coups. « La scène, c’est l’endroit où je vis. Lorsque j’entre en scène, j’existe. L’art dramatique détient ce pouvoir inouï d’émouvoir. Au lieu d’essayer de vous convaincre ou de vous raisonner, il vous chatouille l’épiderme et fait marcher votre sensibilité. Il vous fera peut-être même rêver. Et en rêvant, on réfléchit parfois beaucoup mieux. » Heureux de continuer à monter sur scène quatre fois par semaine, Henri Guybet, dont la façon de parler porte en elle l’éloquence de l’acteur de théâtre, se sent chez lui sur les planches, comme depuis ses débuts. Il se souvient de sa première fois. «J’avais environ 16 ans lorsque j’ai créé une troupe amatrice avec des copains. Notre premier spectacle était un spectacle de commedia dell’arte, j’interprétais Arlequin… Dans notre imaginaire, nous étions particulièrement fasciné par Les Enfants du paradis, le film extraordinaire de Marcel Carné. Nous recréions des scènes, j’étais Pierre Brasseur, un copain faisait Jean-Louis Barrault et une copine était notre Arletty. C’était mes premières émotions. Je me suis aperçu que quelque chose se passait devant les spectateurs… alors j’ai commencé à me dire qu’il fallait que j’en fasse un métier. »

  Encouragé par ses parents dans sa vocation (il fait de même avec son fils Christophe, qui « reprend le magasin »), il court les auditions et entre au TNP de Jean Vilar. Mais il se met bientôt en tête de créer son propre théâtre : ce sera le Café de la Gare, qui ouvre en 1969, conçu de toutes pièces avec ses amis Miou-Miou, Coluche, Romain Bouteille et Patrick Dewaere. « Les années Café de la Gare ont été des années de bâtisseur, nous l’avons conçu de nos mains. Lorsque j’y retourne, je me dis « tiens, voilà les clous que j’ai plantés » ! C’était surtout un théâtre de liberté parce que nous étions nos propres patrons. » Dans ce lieu devenu mythique, il interprète des sketches burlesques et des pièces impertinentes, laissant libre cours à sa créativité et à sa fantaisie. Il prend le goût de la liberté, qui se prolonge rapidement sur les plateaux de cinéma. Son entrée dans la grande famille du septième art est marquée par sa rencontre avec Georges Lautner, le prolifique créateur des Tontons flingueurs, réalisateur de mémorables comédies policières avec qui il tourne à huit reprises. « Georges Lautner n’était pas un homme qui vous enseignait mais un homme qui vous transmettait. Avec lui, chaque film était un voyage : je ne disais pas « je vais tourner un Lautner » mais « je monte à bord d’un Lautner ». Un voyage fabuleux, fait de travail mais aussi de formidables rigolades. »

  Evidemment, impossible de rencontrer Henri Guybet sans lui parler des films qui ont changé sa carrière, ceux qui ont permis de dévoiler pleinement au public français l’ampleur de son talent comique : Les Aventures de Rabbi Jacob et La Septième Compagnie, dont le succès retentissant au moment de leur sortie est encore aujourd’hui perceptible, fédérant de plus en plus de monde lors de leur diffusion à la télévision. « Ces films sont comme des vieux Walt Disney, que l’on regarde volontiers en famille quand il pleut – ou même quand il fait beau. Mais c’était impossible de prévoir leur succès. Lorsque j’ai tourné la fameuse scène de Rabbi Jacob « Salomon vous êtes Juif », je ne pouvais pas m’imaginer qu’elle allait devenir culte ! » Une réplique que le public s’est appropriée, et à laquelle le comédien est immédiatement associé. Au point que les gens qui le croisent n’hésitent pas à la lui réciter. « On ne peut pas avoir marre de la satisfaction des gens. Si ça les a rendu heureux, alors je le suis aussi. » C’est au début des années 1970 que Gérard Oury lui propose le rôle du chauffeur de Louis de Funès, avec lequel il forme un binôme gagnant destiné à rester dans les mémoires. « Lorsque je suis entré dans le bureau d’Oury, la première chose qu’il m’a demandé était de savoir si j’étais juif. Je lui ai avoué que non, et croyant faire de l’humour, je lui ai dit que ça pouvait s’arranger très vite si le rôle était conséquent ! Finalement, ce n’était pas un problème et j’ai pris des cours d’hébreu avec le rabbin Josy Eisenberg pour travailler mon rôle. Ma plus belle rencontre sur le film fut celle avec Louis de Funès. La première fois que nous nous sommes vus, c’était sur le plateau. J’avais un peu d’appréhension, est-ce que je parviendrais à lui arriver à la cheville ? Mais lorsque nous avons commencé à jouer, il m’a immédiatement entraîné avec lui. Il n’improvisait pas mais il renvoyait sans cesse des balles pour jouer avec moi, c’était très agréable. »

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Henri Guybet et Louis de Funès dans Rabbi Jacob de Gérard Oury @Films Pomereu

  Au milieu des années 1970, après avoir tourné pour Claude Zidi (La moutarde me monte au nez) ou Yves Robert (Le retour du Grand Blond), il rejoint Robert Lamoureux et la troupe de La Septième Compagnie, pour incarner l’inénarrable soldat Tassin. « Aldo Maccione avait fait le premier film de la trilogie mais il ne trouvait pas la solde assez intéressante pour continuer. Alors on m’a mobilisé pour cette deuxième campagne ! Lorsque je me souviens du film, les images du tournage me reviennent en tête comme des souvenirs de vacances. Je dois dire très franchement que dans ma vie, c’est bien la seule guerre que j’ai aimé faire. On m’en a fait faire une autre bien avant, pour essayer de défendre les territoires d’outre-mer, mais c’était nettement plus triste. » Petite curiosité : regarde-t-il ses films lorsqu’ils passent à la télévision ? « J’en regarde cinq minutes, mais pas plus. C’est difficile de se regarder. La première fois que je me suis vu au cinéma, j’ai eu l’impression de voir mon père. Je marchais comme lui, j’avais le même dos, la même posture, c’était très troublant. Et maintenant, quand je me vois au cinéma, je vois mon grand-père ! On peut dire que j’aurai bien connu ma famille.»

  Pas de plan de carrière, des rôles à foison, il enchaîne les comédies dans les années 1970-80. Il apparaît dans pas moins de neuf films sortis en 1981, une époque où le cinéma français produisait en quantité, pas toujours en qualité, mais qui donnait lieu à des pépites d’humour et de désinvolture dont le visionnage aujourd’hui est un acte savoureux. Henri Guybet incarne cette génération d’acteurs qui parcourait les films avec une aisance folle et une réelle insouciance. « J’ai eu la chance de me balader dans cet univers rempli de grands créateurs, réalisateurs comme comédiens. Ils avaient tous leur particularité, les Blier, les Belmondo, c’est ce qui a créé la richesse du cinéma français à cette époque. Et beaucoup de films étaient fait pour le plaisir d’être ensemble, de se retrouver entre amis. C’est sans doute cet esprit qui rend les films si sympathiques aux yeux des gens. » Un cinéma aimé par le public mais souvent méprisé par la critique, alors qu’il osait pourtant faire rire avec des sujets périlleux. Nous lui apprenons qu’une grande exposition sera consacrée à Louis de Funès l’année prochaine, à la Cinémathèque. « Les choses drôles gênent parfois certaines personnes. Il y a quelque chose de très vivant dans la comédie qui a toujours gêné des critiques dites intellectuelles… Louis de Funès fait partie des héros comiques du cinéma français, il mérite bien une exposition. Il faut s’en réjouir ! »

  Avant de nous quitter pour entrer en scène et rejoindre ses partenaires, Henri Guybet évoque le souvenir de Jean-Pierre Marielle, disparu le 24 avril dernier, avec qui il a tourné dans On aura tout vu (Georges Lautner, 1976) et Pétrole ! Pétrole ! (Christian Gion, 1981). « Jean-Pierre me faisait rire, si bien que j’oubliais mes répliques ! Avec lui, j’étais au spectacle, à la fois son partenaire et le spectateur de ce qu’il faisait. C’était un grand monsieur, que j’aurais très bien imaginé interpréter du Corneille ou du Shakespeare. Il fait partie des copains dont la disparition attriste terriblement. Je me dis toujours que s’il y a quelque chose de l’autre côté, il y a des gens avec qui nous allons construire un théâtre fabuleux. On inventera des pièces. Un drame au paradis, ça peut être très joli comme titre. Ou Dieu est parti en week-end ! Pour éblouir les anges. »

Propos recueillis par Victorien Daoût, le 2 mai 2019 à Paris.

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