Rencontre avec : Valerie Pachner

Bilingual interview

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Valerie Pachner ©Mathias Bothor/photoselection

Retenez bien son nom : Valerie Pachner est la révélation d’Une vie cachée, le nouveau film de Terrence Malick, au cinéma dès aujourd’hui. Elle revient avec nous sur son expérience de tournage, qui fut une véritable expérience de vie, et le regard qu’elle porte sur cette grande œuvre dont elle est la bouleversante interprète.

D’où vient votre désir de devenir actrice ?

Je n’ai jamais vraiment eu l’idée de devenir actrice, mais j’ai grandi dans la campagne où il n’y avait pas beaucoup d’activités. Ma seule préoccupation était alors de rencontrer des gens. Je ne sais pas comment, mais j’ai pensé qu’un cours de théâtre me permettrait de vivre de nouvelles choses avec des nouvelles personnes, alors j’y suis allée ! J’avais 16 ans, c’était la première fois que je me sentais totalement à ma place. Ce n’était pas pour le jeu en soi, mais je ne voulais pour rien au monde être ailleurs ni faire autre chose. Je me sentais en harmonie avec le moment. Ensuite, après avoir fini mes études, j’ai voyagé et cela a pris un certain temps avant que j’entre dans une école d’art dramatique… Mais c’est arrivé, et c’est ainsi que les chose ont commencé.

Comment avez-vous rejoint la distribution d’Une vie cachée de Terrence Malick?

Un an avant le début du tournage, un directeur de casting m’a proposé d’auditionner. Je savais qu’il s’agissait d’un film de Terrence Malick, mais je n’avais rien à préparer. Pendant le casting, j’ai lu une des lettres de Franz, traduite en anglais. Je devais improviser quelque chose à partir de cette lettre. Trois semaines plus tard, j’ai reçu un coup de téléphone pour me dire que j’étais prise ! C’était merveilleux, ça s’est fait très rapidement.

Vous jouez le rôle de Franziska Jägerstätter, dont le mari a été condamné à mort par les nazis pour avoir refusé de prêter serment au régime. Quelles questions vous êtes vous posées avant d’incarner cette femme qui a réellement existé ?

L’approche d’un personnage change beaucoup lorsque celui-ci est réel et non totalement fictionnel. C’est un processus assez délicat, surtout en ce qui concerne Franziska car son histoire s’inscrit dans une époque malgré tout assez récente. J’ai ressenti en moi la nécessité de demander une sorte de permission pour l’incarner, et au fur et à mesure, une connexion très intense s’est établie avec elle. Je me suis demandé comment est-ce qu’elle aurait aimé être représentée, ce qu’elle aurait aimé qu’on lui fasse dire. Son histoire est si forte que je sentais que j’avais la responsabilité d’être la plus juste possible.

Par quelles étapes de préparation êtes-vous passée ?

Pour commencer, Terrence Malick (« Terry ») m’a envoyé toute la correspondance de Franz et Franziska. C’était pour moi une approche émotive très importante de leur histoire. J’étais si bouleversée à la lecture de leurs lettres… Elles sont tellement sensibles et profondes. J’ai pu comprendre qui ils étaient, comment ils se comportaient l’un envers l’autre, à quoi ressemblait leur vie quotidienne à la ferme. Ensuite, il y avait un scénario, Terry ne pouvait pas s’en passer étant donné que le film raconte une histoire vraie. Mais dès le premier jour du tournage, j’ai compris que je pouvais l’oublier et le laisser dans un tiroir ! Enfin, je suis allée dans une ferme durant les trois ou quatre semaines qui précédaient le tournage. J’y suis restée tout ce temps pour m’imprégner de la vie de mon personnage. Travailler la terre, traire des vaches, tondre des moutons… C’était aussi l’occasion de me remettre à la cuisine ! Je suis née dans un village proche de Radegund, le lieu de l’action du film, où mes grands-parents étaient fermiers, mais je vis désormais en ville depuis une dizaine d’années. C’était important pour moi de me reconnecter à des choses proches de la terre, pour retrouver le lien que mon personnage entretient avec l’environnement qui l’entoure.

Terrence Malick vous a-t-il parlé de références artistiques ?

Il ne m’a pas conseillé de lectures ou de références picturales indispensables, mais il parlait beaucoup de Vermeer. Il nous disait « Vermeer yourself », ce qui signifie que lorsque nous tournions en intérieur, il fallait faire très attention à la façon dont la lumière entre dans la pièce. La peinture de Vermeer était très présente sur le plateau.

Votre personnage peut être rapproché de ce que les autres personnages féminins qui parcourent l’œuvre de Terrence Malick véhiculent. Est-ce votre sentiment ?

Si tous les personnages féminins de ses films sont différents, quelque chose les relie en effet. Mais je me souviens qu’au moment du tournage, je ne voulais pas faire en sorte que mon personnage soit celui d’une sainte. Je sentais que Terry voulait qu’elle inspire la grâce, qu’elle soit comme une sainte, ce avec quoi je suis d’accord car c’est ce qu’elle est. J’ai tenu à ce qu’elle soit aussi une femme passionnée, et en même temps proche de choses très simples.

La méthode de travail de Terrence Malick est assez unique au sein de l’industrie cinématographique.

À ce moment de ma carrière, la plus grande différence avec ce que j’ai pu vivre sur d’autres films provient d’un immense sentiment de liberté. La liberté du scénario d’abord, qui se ressentait chaque jour. Ce n’était pas capital de jouer les scènes dans l’ordre initialement prévu car il n’y avait pas de planning rigoureux à respecter, on pouvait s’autoriser à dériver sur autre chose. Généralement, une fois qu’une scène est tournée, on n’y revient pas, mais avec Terry on les revit inlassablement. La plupart des scènes que l’on voit dans le film ont été faites cinquante fois. Le tournage était comme une répétition théâtrale sans le moment de la première représentation. Il n’y avait pas de marques au sol pour indiquer nos positions, pas besoin de se souvenir où l’on avait laissé son bras à la fin d’une scène pour reprendre la même pose dans la suivante, de se rappeler si l’on tenait une tasse de café ou non. Le grand angle confère également beaucoup de liberté : il donnait la possibilité de courir, de déployer du mouvement. Terry cherche toujours à vous surprendre, il veut que les choses arrivent par elles-mêmes. Il filme énormément, amasse beaucoup de matière pour en conserver le meilleur au montage. C’est pour ça qu’il n’y a pas besoin de livrer la « performance parfaite » à l’instant T, il s’agit plutôt d’une expérience vécue. Aussi, Terry ne se plaindra jamais de la pluie alors que la météo prévoyait du soleil. Tout ce qui survient dans la nature est une bonne chose. C’est très libérateur : c’est la vie, les choses arrivent et sont ce qu’elles sont.

Comment cette immersion a-t-elle influencée votre jeu ?

Lors de la cinquième ou sixième semaine de tournage, je jouais les scènes de chagrin durant lesquelles mon personnage reçoit la nouvelle de la condamnation à mort de son mari. J’étais tellement dans la situation de personnage, répétée de jour en jour, que je me suis soudainement mise à penser qu’elle était peut-être dans un autre état d’esprit que celui qu’on lui attribuait à priori. Peut-être qu’elle pensait aux pommes de terre ou à autre chose à ce moment là ! Pour chaque instant, différents états d’âme coexistent en soi, et chacun d’entre eux peut changer la façon de penser et d’agir du personnage. Il n’y a pas qu’une seule façon d’être. Cela donne plus d’espace, plus de liberté dans l’incarnation, et correspond assez bien à mon idée du jeu d’acteur.

Beaucoup de scènes ont-elles été coupées ?

On ne peut pas dire qu’une grande scène a été spécifiquement coupée, mais le film pourrait être très différent avec toutes les heures de rush dont on dispose.

Qu’est-ce qui a retenu votre attention lorsque vous avez vu le film ?

Lorsque j’ai vu le film pour la première fois, j’ai reçu en plein cœur le message selon lequel nous ne devons jamais oublier d’aimer et d’écouter ce qui se trouve dans notre cœur pour ne gâcher aucun moment. Ensuite, quand j’ai vu le film à Cannes, ce qui m’a le plus frappé était sa profondeur politique. Les scènes avec Bruno Ganz au tribunal sont très fortes : il ne s’agit pas de dire que telle personne est bonne et telle est autre est mauvaise, car on voit que ceux qui condamnent Franz sont aussi des êtres humains. Comme le dit le personnage interprété par Franz Rogowski, « the sun shines on good and bad, in both ways » [« le soleil brille aussi bien sur les bons que sur les mauvais »]. Je suis persuadée qu’il faut essayer de mieux se connecter aux autres, quels qu’ils soient, pour se rendre compte que nous sommes tous les mêmes.

L’attitude de Franz est celle de la désobéissance civile, une façon de dire non.

À tout moment, il y a cinquante, cent ou deux cents ans, dire non a toujours quelque chose de difficile. C’est compliqué de s’opposer à l’opinion générale, même quand on est intimement persuadé que ce que l’on pense est juste. C’est pourquoi il est nécessaire de trouver une place de silence en nous pour savoir ce qui est vraiment dans notre cœur, notre opinion personnelle. C’est toujours plus difficile lors de périodes durant lesquelles il y a plus de bruit et de changements, mais c’est quelque chose d’intemporel.

La réflexion sur la notion de justice est au cœur du film…

Pour moi, l’idée directrice du film est celle de rester fidèle à ce que l’on pense être juste. Fani et Franz suivent le chemin le plus juste à leurs yeux. C’est un sentiment qui responsabilise, ce que j’ai éprouvé à mesure que je me rapprochais de la pensée de mon personnage. « Je veux emprunter le chemin juste, ne pas faire de compromis et suivre ce qui est en accord avec ma pensée profonde ». L’autre sujet du film, c’est l’amour. À quel point une union entre deux personnes peut être forte lorsqu’ils s’aiment et restent ensemble, comme dans cette scène où mon personnage rend visite à son mari en prison. On voit que rien ne peut être plus fort pour eux que le seul fait d’être ensemble.

Finalement, qu’est-ce que ce film aura changé en vous ?

Jouer dans ce film m’a donné la sensation que même si on se trompe, il faut continuer à avancer. C’était aussi vrai sur le tournage que ça l’est dans la vie de tous les jours. Se saisir de tout ce qui survient, parce que c’est à chaque fois susceptible de nous faire grandir. Ce que j’essaye de faire !

Propos recueillis par Victorien Daoût le 20 juin 2019, par téléphone.

En association avec One Big Soul. Un grand merci à Valerie Pachner et Petra Schwuchow.

 

English version.

 

How was born your desire to become an actress ? 

I never really thought of becoming an actress, but I grew up in the countryside where there were not many activities. My only concern then was to meet people. I do not know how, but I thought that a theater class would allow me to experience new things with new people, so I did that ! I was 16 years old, it was the first time that I had an overall sense of belonging. It was not for acting itself, but I did not want to be anywhere else or do anything else. I felt in harmony with the moment. Then, after finishing my studies, I traveled and it took a while before I went to an acting school… but it happened, and that’s how the story began.

How did you join the cast of Terrence Malick’s A Hidden Life ?

One year before the beginning of the shoot, a casting director suggested I audition. I knew it was a Terrence Malick movie, but I had nothing to prepare. During the casting, I read one of Franz’s letters, translated into English. I had to improvise something from this letter. Three weeks later, I received a phone call to tell me I was taken! It was wonderful, it happened very quickly. 

You play the role of Franziska Jägerstätter, whose husband was sentenced to death by the Nazis for refusing to take the oath to the regime. What questions you asked before you embodied this woman who really existed? 

Approaching a character changes a lot when this character is real and not totally fictional. This is a rather delicate process, especially with regard to Franziska because its history is part of a fairly recent period. I felt in me the need to ask for some kind of permission to embody her, and as time went on, a very intense connection was established with her. I wondered how she would have liked to be represented, what she would have want her character to tell. Her story is so strong that I felt that I had the responsibility to be as right as possible.

By what stages of preparation have you gone? 

To begin with, Terrence Malick (« Terry ») sent me all the letters written by Franz and Franziska. It was for me a very important emotional approach to their story. I was so upset at reading the letters… They are so sensitive and deep. I could understand who they were, how they behaved towards each other, what their everyday life on the farm looked like. Then there was a script, Terry could not do without it since the movie tells a true story. But from the first day of shooting, I realized that I could forget it and leave it in a drawer! Finally, I went to a farm for three or four weeks before the shoot. I stayed there all the time to immerse myself in the life of my character. Working the land, milking cows, shearing sheep… It was also an opportunity to get back to cooking! I was born in a village near Radegund, where the story takes place, where my grandparents were farmers, but I have been living in the city for about ten years now. It was important for me to reconnect with things close to the earth, to find the link my character has with the environment around her. 

Did Terrence Malick evoked with you artistic references? 

He did not recommend reading or pictorial references, but he spoke a lot about Vermeer. He told us « Vermeer yourself, » which meant that when we shot indoors, we had to be very careful about how the light enters the room. Vermeer’s painting was very present on the set. 

Your character can be compared to what other female characters that run through the work of Terrence Malick convey. Is it your feeling? 

If all the female characters in his films are different, something connects them indeed. But I remember that at the time of the shooting, I did not want to make my character is that of a saint. I felt that Terry wanted her to inspire grace, that she be like a saint, with which I agree because that’s what she is. I wanted her to be also a passionate woman, and at the same time close to very simple things. 

Terrence Malick’s method of work is quite unique in the film industry. 

At this point in my career, the biggest difference from what I’ve experienced on other films comes from an immense sense of freedom. The freedom from the script first, which was felt every day. It was not essential to play the scenes in the order originally planned because there was no rigorous schedule to respect, we could allow ourselves to drift on something else. Usually, once a scene is shot, we do not return to it, but with Terry we relive them tirelessly. Most of the scenes that we see in the film were made fifty times. The filming was like a theatrical rehearsal without the moment of the first public performance. There were no marks on the ground to indicate our positions, no need to remember where we left our arms at the end of a scene to resume the same pose in the next, to remember if we had a cup of coffee or not. The wide angle also gives a lot of freedom: it gave the possibility to run, to deploy movement. Terry is always trying to surprise you, he wants things to happen on their own. He films a lot, amassing a lot of material to keep the best editing. That’s why there is no need to deliver the « perfect performance » at the M moment, it is rather a lived experience. Also, Terry will never complain about the rain when the weather forecasted the sun. Everything that happens in nature is a good thing. It’s very liberating: it’s life, things happen and they are what they are.

How did this immersion affect your acting ? 

During the fifth or sixth week of shooting, I played many scenes of grief during which my character receives the news of the death sentence of her husband. I was so much in the situation of the character, repeated from day to day, that I suddenly began to think that she was perhaps in a different state of mind than the one which was supposed for her by a priori. Maybe she was thinking about potatoes or something else at that moment! For each moment, different states of mind coexist in themselves, and each one of them can change the way of thinking and acting for the character. There is not one way to be. This gives more space, more freedom in the embodiment, and fits pretty well with my idea of acting.

Have many scenes been cut ? 

We can not say that a big scene was specifically cut, but the film could be very different with all the hours of rush that we shot.

What caught your attention when you watched the film ? 

When I watched the film for the first time, I received in my heart the message that we must never forget to love and listen to what is in our heart, so as not to spoil any moment. Then, when I watched the film in Cannes, what struck me the most was its political depth. The scenes with Bruno Ganz in court are very strong: the matter is not to say that such a person is good and such other is bad, because we see that those who condemn Franz are also human beings. As says the character played by Franz Rogowski, « the sun shines on good and bad, in both ways ». I am convinced that we must try to connect better with others, to realize that we are all the same. 

Franz’s attitude is that of civil disobedience, a way of saying no.

At any time, fifty, one hundred or two hundred years ago, saying no always carry something difficult in it. It is complicated to oppose the general opinion, even when one is deeply convinced that what one thinks is right. That is why it is necessary to find a place of silence in us to know what is really in our heart, our personal opinion. It’s always harder during times when there’s more noise and change, but it’s timeless. 

The reflection on the notion of justice is at the heart of the film… 

For me, the main idea of the film is to stay true to whatever you think is right. Fani and Franz follow the right path in their eyes. It’s a feeling that empowers you, which I felt as I got closer to the thought of my character. « I want to go the right way, do not compromise and follow what is in line with my deep thinking. » The other subject of the film is love. How strong a union between two people can be when they love and stay together, like this scene where my character visits her husband in prison. We see that nothing can be stronger for them than just being together. 

Finally, what will this film have changed in you ? 

Playing in this film gave me the feeling that even if you make a mistake, you have to keep going. It was as true on the set as it is in everyday life. To seize all that occurs, because it is always possible to make us grow. What I am trying to do!

Interview by Victorien Daoût on June 20, 2019, by phone.

In association with One Big Soul. Many thanks to Valerie Pachner and Petra Schwuchow.

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