Lorsque Lillian Hellman, à qui le festival de San Sebastián dédie une rétrospective, écrit La rumeur, représenter ou faire allusion à l’homosexualité sur scène est illégal dans l’État de New York. Le réception critique et publique de sa pièce lui permet de braver cette interdiction et de monter l’œuvre à Broadway. En 1936, William Wyler en tourne une version. Mais sous le Code Hays, l’objet de la rumeur (l’homosexualité des deux professeures) est transformée en tromperie hétérosexuelle. C’est seulement en 1961 que Wyler pourra réaliser une nouvelle adaptation et un remake de son propre film, reprenant cette fois les thèmes originels de l’œuvre d’Hellman.
Parmi les rôles complexes, obscurs et tortueux interprétés par Isabelle Huppert, on compte celui d’Erika Kohut dans La pianiste de Michael Haneke : un film dérangeant, portant un trio de personnages ambigus et déroutants, dont les relations interrogent les rapports entre hommes et femmes.
Le désir peut-il résister au passage du temps ? C’est l’une des questions que pose Lan Yu, film magnifique du méconnu Stanley Kwan, dont une partie de l’œuvre fait l’objet d’une ressortie en salles orchestrée par Carlotta. Réalisé cinq ans après son coming-out out, faisant de Kwan l’un des rares cinéastes ouvertement gays d’Asie, le film raconte l’histoire d’amour qui unit Handong, golden boy de la finance à Pékin, et Lan, un étudiant désargenté qui s’essaie à la prostitution. Le scénario est adapté d’un roman anonyme publié sur internet en 1998 et aborde par un prisme intime la clandestinité forcée des relations homosexuelles dans la Chine post-Mao.
Qui dit nouvelle année dit certes «Bonne année !» mais surtout, top ciné de l’année qui vient de se terminer, dans les feux de champagne ou de rhum à dix balles, et peut-être pour nous cinéphiles dans quelques ultimes pépites filmiques. Des beaux films, 2023 en a eu son lot : en figure de proue (cocorico !) Anatomie d’une chute qui remporte La Palme d’Or et un succès mérité auprès des spectateurs. Outre le film de Justine Triet, 2023 marque aussi une année à vocation végétale puisque Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki et Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan, s’octroient, eux aussi, des places de choix dans les tops de l’année (le constat écologique de la communauté cinéphile ?). Mais si les classements de chaque année en disent long sur l’état du monde et plus encore sur l’état de l’industrie filmique et de ses dynamiques (on notera l’écrasante omniprésence des films de la programmation Cannoise, plus qu’aucun autre festival), ils reflètent surtout la cinéphilie de leur auteur. Donc, les tops : tradition frivole et quelque peu surannée ? Sans doute. Mais l’occasion aussi de rattraper quelques rendez-vous manqués et de défendre une dernière fois les coups de cœur de la rédaction classés ici de 1 à 10, du plus au moins favori. Bonus : étant donné qu’en plus d’être subjectif, il s’agit là d’un exercice particulièrement restrictif (pour ne pas dire frustrant), la rédaction vous propose, en parallèle de ses dix films préférés de 2023, deux mentions spéciales. La première, pour le meilleur film de patrimoine, ressorti cette année, et la seconde, pour une œuvre non distribuée en France – c’est à dire que nous avons découvert cette année en arpentant les salles calfeutrées des projections de presse parisiennes ou les Palais de divers Festivals européens – et dont nous vous recommandons chaudement de guetter l’éventuelle sortie au cinéma !
Sous la pression des multiples mouvements féministes, le viol est devenu un sujet de société incontournable. Comme tout champ artistique, le cinéma n’y échappe pas ; de par les nombreux réalisateurs accusés d’agression sexuelle, parmi lesquels certains se pavanaient à Venise il y a seulement quelques semaines, mais également comme un sujet à part entière de l’analyse cinématographique. Iris Brey y consacrait un chapitre entier dans son essai sur regard féminin, où le nom d’Ida Lupino était abondamment cité. Sorti en 1950 puis tombé dans l’oubli avant d’être redécouvert, Outrage abordait frontalement ce sujet tabou dans un film à la forme tout à fait classique, qui préférait néanmoins suivre la reconstruction de son héroïne plutôt que de se perdre dans des élans romanesques.
Alain Guiraudie déboule sur la scène du cinéma français au début des années 2000. À travers une exploration pittoresque du territoire français, il nous propose des personnages aussi touchants qu’inquiétants. Le cinéaste provoque visions mystiques et rires francs avec la même impudence. Son nouveau long-métrage Viens je t’emmène sort ce mercredi au cinéma.
Quel était le point de départ de Viens je t’emmène ? Était-ce plutôt les attentats ou cette notion de vivre-ensemble ?
Alors ça, ça m’est toujours dur d’y répondre… Pourtant, la question revient beaucoup ! Je pense que je voulais faire un film sur l’époque. On ne peut pas dire que mes films soient d’une actualité brûlante donc là, je m’étais dit qu’il fallait en parler. Je pense aussi que les attentats ont été un gros traumatisme et je me demande toujours pourquoi on arrive pas à en parler, de ces traumatismes. Pourquoi on a mis tant de temps à parler du sida, par exemple ? Moi le premier, d’ailleurs. Je n’ai jamais vraiment traité le sujet, je l’ai évoqué. Les attentats, depuis New York en 2001, ce sont aussi des événements qui impriment nos vies. Tout comme la réduction des libertés qu’ils entrainent… C’était important d’en parler mais pas que de ça. De toute façon, je ne sais pas prendre un sujet et le traiter, ça ne m’intéresse pas vraiment. L’idée était de parler de l’époque, avec mon regard à moi, un peu singulier.
Il est en effet difficile de rattacher vos films à un genre précis. On aurait du mal à les définir exclusivement comme des comédies, des films à enquête ou encore comme des satires sociales. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que j’ai toujours hésité. Depuis que j’ai commencé à avoir l’idée de faire du cinéma, j’ai toujours hésité entre faire des films sociaux ou politiques. Le cinéma politique m’a toujours intéressé, ainsi que les comédies ou les films fantaisistes… Dans mes goûts, quand j’étais jeune adolescent, il y avait Yves Boisset ou Costa-Gavras d’un côté et Luis Buñuel et David Lynch de l’autre. Luis Buñuel était un vrai exemple pour moi, dans le sens où il arrivait à relayer du social, une forte teneur politique avec quelque chose de l’ordre du surréalisme, de la fantaisie et de la joyeuse déconnade aussi ! Je pense que c’est ça qui m’a conduit à ce mélange. Très tôt je me suis dit : « il me faut de l’air, il me faut un ailleurs, il me faut un cinéma qui me laisse entrevoir un peu plus que juste une réalité sociale ». Notre petit quotidien, c’est assez chiant ! J’ai envie d’être sérieux, j’ai envie de me marrer : j’ai envie des deux.
Cela prend parfois une forme ludique, presque comme un conte.
Oui, il faut s’amuser. Vous savez, normalement, il y a des séquences obligatoires pour qu’on comprenne la chose. Mais j’essaie de m’en passer. Car je me suis toujours dit que si des séquences qui m’emmerdaient, je ne les écrirais pas.
Une chose dont vous semblez ne pas pouvoir vous passer c’est le territoire. Il occupe une place centrale dans votre cinéma : Pas de repos pour les braves dans le sud-ouest, Albi avec Le roi de l’évasion ou le Cap d’Agde pour L’inconnu du lac, et Rester vertical en Lozère. Là nous sommes à Clermont-Ferrand, pourquoi avoir choisi cette ville ?
Le souffle court, les traits tirés, le regard mouillé de nostalgie : Cate Blanchett excelle en Blue Jasmine, qui demeure encore à ce jour le dernier grand film de Woody Allen.
Porter des collants verts moulants en conservant un semblant de dignité n’est pas donné à tout le monde. Errol Flynn atteint l’apogée de son succès lorsqu’il interprète le héros éponyme dans Les Aventures de Robin des bois en 1938. Sa carrière hollywoodienne n’avait pourtant démarré que quelques années plus tôt : en 1935 le jeune acteur australien joue un corps inerte dans The Case of the Curious Bride, réalisé par un certain Michael Curtiz.
Dans Fatale Jeremy Irons incarne Stephen Fleming, un politicien britannique aisé dont la vie professionnelle et familiale frôle la perfection. Cette sérénité est brusquement troublée lorsque Stephen entame une aventure avec la fiancée de son fils. Quelques années plus tard, l’acteur britannique reprendra un rôle similaire en incarnant Humbert Humbert, le célèbre protagoniste du roman Lolita.
C’est au Bristol Old Vic que Jeremy Irons suit une formation de théâtre classique avant de faire ses débuts professionnels sur scène en 1969 puis au cinéma en 1980. Durant ces vingt premières années il collabore notamment trois fois avec la célèbre Royal Shakespeare Company. C’est donc sans grande surprise qu’on le voit tenir le rôle d’Antonio, aux cotés de – plus inhabituel – Al Pacino, dans l’adaptation du Marchand de Venise de William Shakespeare par Michael Radford en 2004.