C’est à Arles, bercé par les effluves de la mer et de bière, que Fanny Molins franchit les portes de l’Atlantic, dans l’espoir de trouver un sujet pour son exposition de photographie. Cinq ans plus tard, le documentaire simplement nommé Atlantic Bar arrive sur nos écrans, et on peut affirmer que la réalisatrice a eu le nez fin.
Tout commençait pourtant si bien. L’un après l’autre, des jeunes s’expriment le cœur ouvert, face à la caméra, dans un décor immaculé prouvant leur sincérité, avec des discours témoignant toute la difficulté ubuesque de toujours être un « vrai mec ». Ouvrant son œuvre comme un documentaire, le réalisateur Fabian Hernandèz choisit la simplicité pour aborder un sujet complexe : le sort de délinquants de Bogotá baignant dans la masculinité toxique, traitement placebo contre leur extrême pauvreté tant matérielle que psychologique. En quelques minutes, les fondations sont posées, remarquablement solides.
La jungle défile à l’écran, terre bleue, ciel violet, plantes oranges, rouges, vertes, un dessin d’enfant au milieu duquel un homme court. Nu, son corps d’un bleu pâle, il évite des balles invisibles, devançant à peine des soldats que l’on devine proches. Une balle l’atteint ; l’homme trébuche, tombe dans la boue, s’enfonce sous les bottes des soldats qui continuent à courir. Là où il a disparu, un arbre pousse, au tronc épais, immense, jusqu’à atteindre les cieux. C’est ainsi que commence l’histoire de Nayola : par un conte, mêlant guerre et naissance, et où demeure toujours une touche d’espoir.
Alors que la prochaine œuvre de Bong Joon-ho se fait toujours désirer, les salles françaises s’offrent la ressortie de The Host, paru 17 ans plus tôt et bénéficiant d’une cure de jouvence 4K. Voilà l’occasion de redécouvrir le réalisateur sud-coréen en pleine jeunesse et aux rênes d’un blockbuster multi-face qui brisa tous les records d’audience en Corée mais demeura assez confidentiel chez nous. Plus d’une décennie avant le triomphe planétaire de Parasite, Bong Joon-ho prouvait-il déjà son génie ?
Ils sont quatorze réunis dans une salle obscure au centre d’un hôtel labyrinthique de Sarajevo. À l’extérieur, la ville est en travaux, et un cimetière sans fin recouvre l’horizon. Pour son cinquième film, Teona Strugar Mitevska retourne sur les traces de la dernière grande guerre européenne, sur le tabou d’un traumatisme partagé et une reconstruction qui ne peut passer que par la libération de la parole.
Sam H. Freeman et Ng Choon Ping réalisent avec Femme un thriller électrisant. Ce premier film, sélectionné dans la catégorie Panorama à la Berlinale, traite de l’idée de travestissement quotidien et du danger d’être dévoilé pour ce qu’on est vraiment. Reprenant certains codes du film noir et dévoilant un génial sens du suspens, Femme est une virée nocturne torride et étouffante. À Berlin, nous avons rencontré les deux amis et cinéastes.
Sam vous avez surtout travaillé à la télévision et Ping plutôt au théâtre, qu’est-ce que vous vous êtes apportés mutuellement, en terme de compétences, dans la création de ce film ?
Sam H. Freeman : Effectivement, mon expérience en est une de scénariste à la télévision et Ping de metteur en scène au théâtre. Donc quand nous nous sommes retrouvés à vouloir faire un film ensemble, nous avons vraiment eu l’impression que nos capacités se complétaient. Aucun de nous n’a fait d’école de cinéma donc on a du faire appel à nos connaissances respectives quant à l’art de raconter des histoires. J’étais plus familier avec les façons d’écrire alors que l’approche de Ping est très visuelle. On a beaucoup appris l’un de l’autre et on a pu s’appuyer mutuellement sur les forces de l’autre. Au sein d’un duo, les deux peuvent essayer d’être identiques, ce dont je ne vois pas vraiment l’intérêt ou, au contraire, se dire qu’on est justement plus d’un parce qu’on a deux domaines de compétences complètement différents.
Ng Choon Ping : En tant que scénariste, tu avais parfois du mal à trouver de quelle façon faire aboutir ta vision. À l’inverse, moi en tant que metteur en scène, je trouve difficile de construire en amont ce que j’avais envie de montrer à l’écran. Donc c’était une superbe opportunité pour nous de pouvoir contrôler tout du début à la fin : de la conception de l’histoire jusqu’à maintenant, être assis ici avec vous !
C’est un premier film très ambitieux, surtout sur l’aspect de la réalisation car quasiment tout le film se déroule de nuit. Pourquoi avez-vous tenu à raconter cette histoire de nuit et quelles étaient les difficultés principales liées à ce choix ?
N. C. P. : C’était très compliqué à tourner parce que ce sont surtout des extérieurs de nuit et nous avons tourné en juin. C’est l’été donc les nuits étaient courtes. Généralement on arrivait sur le plateau avant le coucher du soleil et il fallait attendre, puis, quand la nuit arrivait tourner très vite avant l’aube. Donc c’était un rythme assez difficile mais exaltant.
S. H. F. : C’était très important pour nous que ce soit un film de nuit, comme beaucoup d’œuvres qui nous ont inspiré : Good Times des frères Safdie ou les films de Nicolas Winding Refn. C’était un genre de référence et on a voulu s’y tenir. Ce que vous décrivez, l’ambiance secrète et dangereuse, éclairée au néon, c’est une immense part de ce qui constitue les thrillers. Et on était conscient qu’on voulait garder une scène de jour à un moment très spécifique. C’était efficace dans l’histoire seulement si les autres plans étaient de nuit, pour qu’on puisse avoir l’impression d’enfin reprendre notre souffle.
N. C. P. : La nuit, c’est le moment où tout peut arriver. Dans un bon thriller, la nuit c’est l’instant où tout tourne au chaos puis revient à l’ordre quand le jour se lève. Son esthétique nocturne, ses couleurs vibrantes c’était notre façon d’emmener Jules dans cet « autre monde » avant d’essayer de le ramener en sûreté.
La nuit ne nous permet pas de reconnaitre les lieux filmés, et les gros plans font qu’il est également difficile de se repérer dans l’espace. Pourquoi avez-vous souhaité éviter toute forme de contextualisation spatiale ?
Pour leur premier long-métrage, Julie Gersant-Lerat et François Roy posent leurs caméras dans un centre maternel où des adolescentes enceintes doivent choisir entre devenir parent ou laisser leur enfant dans un centre d’adoption. Abordant autant la difficulté de la maternité que le récit initiatique de femmes trop perdues pour être mères, Petites adresse un sujet aussi riche qu’intéressant, ce qui sera à la fois sa force et sa faiblesse.
Jules, une drag queen resplendissante est agressée un soir dans ce qui semble être un petite ville d’Angleterre. Après ce traumatisme, les couleurs se tarissent : les talons deviennent baskets, les jupes des joggings et les hauts arc en ciel des sweat-shirts monochromes. Mais alors qu’il s’apprête enfin à délaisser son canapé pour une piste de danse, Jules croise son attaquant dans un club gay. Commence alors un jeu de vengeance dangereux entre les deux, dans ce que les réalisateurs Sam H. Freeman et Ng Choon Ping appellent un « queer noir ».
Bienvenu dans l’Atelier de Vince, où les robes défilent, les perruques s’élèvent et les paillettes brillent. À l’entrée, des personnes de tous âges et tous milieux, désireux d’accomplir leurs rêves ; à la sortie, la scène et le public, avec leurs promesses et leurs fardeaux. En son centre trône Vince, roi malgré lui, ayant atteint la célébrité avec son personnage de Lady Vinsantos. Las de ce personnage qu’il incarne depuis des décennies, il prévoit alors un dernier spectacle, à Paris.
À première vue, l’œuvre de Zheng Li Xinyuan se présente comme une introspection de la cinéaste motivée par la contrainte du confinement. La caméra suit sans faillir le regard que la réalisatrice porte sur son environnement, à la fois celui extérieur, maintenant inaccessible, tout comme intérieur, entre les quatre murs impersonnels de sa chambre d’hôtel. Dans cet espace restreint, elle abat toutes ses barrières et aborde sa relation conjugale avec une proximité confondante : l’introduction les présente nues, dans leur lit, s’amusant avec un préservatif gonflé comme un ballon. Cette intimité in medias res, presque déstabilisante, n’est pourtant que la base de Jet Lag qui alors amorce un mouvement d’expansion continu.